La cuisine paysanne d'Ardèche.
Sous-titre du livre: " La vie des Fermes et des Champs racontée par une Enfant du Pays "
J'avoue que j'ai eu du mal à classer ce livre car c'est à la fois un livre de cuisine mais aussi un livre qui traite de l'agriculture paysanne, des cueillettes sauvages, des traditions, etc...
L'auteur (aujourd'hui on écrit auteure...), Sylvette Béraud-Williams est ethnologue.
Je lui laisse le soin de se présenter elle-même:
" Mes parents étaient paysans, sur les pentes maigres des côteaux de l'Eyrieux où poussaient la vigne et le châtaignier. Je garde de cette enfance un lien privilégié à la terre, et un immense respect envers ceux qui la cultivent. J'ai eu l'occasion d'étudier quelques facettes de leurs connaissances et de leurs savoir-faire et de rendre hommage à leur travail indispensable et si peu reconnu. Tout projet relatif à l'agriculture traditionnelle et à son évolution m'intéresse à double titre : parce que je me sens intimement concernée, mais aussi parce que la souveraineté alimentaire est l'un des enjeux-clés de notre civilisation. "
... et bien sur, dans ce livre passionnant, il est question de grives (modes de chasse, capture, cuisine) et d'autres chasses traditionnelles aujourd'hui interdites comme la chasse des petits oiseaux. Et de bien d'autres choses encore...
RG
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La grive de vigne se fait finalement
Comme le perdreau…
LA GRIVE
Michel Rouvière : « La grive de vigne se fait finalement comme le perdreau. Les tourdres, rôties, toujours rôties. On les tuait dans les vignes après la vendange. »
C’est le gibier à plume le plus estimé, tout au moins des chasseurs qui ont bien voulu nous faire part de leurs souvenirs. A l’automne, les grives fuient la montagne pour se réfugier en climat plus clément. Elles assiègent alors les vignes et font une orgie de grains de raisin qui leur donne une chair particulièrement savoureuse. Avant la guerre, il y avait à Balbiac, le dernier dimanche d’octobre (après les vendanges), ce qu’on appelait la « vogue (1) des tourdres », qui en dit long sur l’importance de ces passages de grives localement.
Trois espèces m’ont été décrites : le tourdre serait la meilleure. Elle arrive la toute première dans les vignes en livrée gris-beige à plastron blanc pointillé de taches sombres. Il y a la draine, « la musicienne (2) », nous dit Louis Terras de Saint Fortunat, plus grosse, aux ailes et au bout de la queue bordés de roux. Et puis celle qui venait en vols serrés, serrés, serrés, on l’appelle la « fiafia » (c’est son cri). Elle venait après les genièvres en hiver, mais les genièvres ça s’est perdu, c’est le chêne vert qui a pris le dessus », ajoute-t-il. La litorne ou fiafia de la vallée de l’Eyrieux, tias-tias dans les environs de Vernoux pour son cri caractéristique que chacun interprète à sa façon, devient tcha-tcha du coté de Vinezac. Elle s’abattait en volées nombreuses sur les houx, lierres, aliziers. Toute baie faisait l’affaire. Celle du genévrier leur donnait un gout si puissant que leur chair était à peine mangeable lorsqu’elles s’étaient laissées aller à en faire une cure. Les hommes les attendaient à l’affût dans quelque abri de branchage improvisé, ou cachés derrière un muret, dans l’air glacial d’un très petit matin d’hiver vibrant de givre sur les Gras.
Notes du transcripteur :
(1) « vogue » : fête.
(2) N’en déplaise à Louis Terras, l’appellation « musicienne » s’applique au tourdre (turdus philomelos) et non à la draine (turdus viscivorus).
Grives rôties
Et, dans l’or sertie,
La fauve rôtie,
Amant non trompé,
Un instant te rive
Au ventre de grive
Sur son canapé
Les grives embrochées devant la braise. En cuisant, leur jus s’écoule sur des tranches de pain grillées, disposées au-dessous, sur un plat allongé ou sur la lèchefrite.
Si l’on ne dispose pas de cheminée : les grives sont rôties en cocotte avec un peu de beurre, bardées d’une fine tranche de lard. On ajoute une gousse d’ail en chemise et on cuit sans brusquer.
Grives sur canapés
Juliette Rouvière : « On les faisait rôties. On commençait à faire des salmis : rôties puis à la moulinette. Elles étaient pilées, les carcasses, tout, pas l’intérieur, avec du lard grillé, et après on étendait ça sur une tartine de pain rôti. »
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Plumez, videz, bardez les grives et faites les rôtir dans une cocotte avec une gousse d’ail non épluchée, un peu de beurre et d’huile, pendant un quart d’heure. Faites griller de petites tartines dans du beurre. Pendant ce temps hachez les « intérieurs » : les foies, les cœurs, etc…, sauf le gésier.
On ajoute à cela de la moutarde, des lardons, la gousse d’ail qui a servi a la cuisson des grives, du sel, du poivre, une cuillerée d’huile, un filet de vinaigre et un peu de jus. On pétrit à la fourchette jusqu’à former une pâte que l’on tartine sur les tartines de pain grillées. Puis on y pose les grives. Arroser avec leur jus de cuisson et passer au four moyen pendant dix minutes. Servir très chaud.
La croustade aux petits oiseaux (Jo Pellegrino à Chandolas)
« Maintenant, je les fais avec des cailles que j’achète, mais avant je le faisais avec des grives, des merles. J’avais un gamin qui chassait, alors on faisait ça. On faisait rôtir avec du lard. Je désossais. Je passais tout ça à la moulinette. J’ajoutais un verre à liqueur de moutarde quand on a sept ou huit grives, autant d’ail. Je frottais le pain avec l’ail, vous mettez la croustade dessus et vous mettez ça au feu. »
« J’en avais fait une fois avec deux pigeons ; j’ai fait manger quatre flûtes de pain, on était vingt. J’enlevais que les gros os des pattes et des ailes, tout le reste passait à la moulinette.»
Salmis de grives
« Prenez vos grives, plumez-les, enlevez le dessous du bec avec l’œsophage, parez-les de lard et faîtes-les rôtir aux trois-quarts. Retirez-les du feu. Lorsqu’elles seront refroidies, coupez les têtes, le bout des ailes, coupez vos oiseaux par le milieu et videz les intérieurs. Pilez les têtes, bouts d’ailes et intérieurs très soigneusement. Pendant ce temps vous avez fait revenir un peu d’oignon, une petite carotte avec le jus des grives, vous ajoutez la pâte des grives préparées, persil, laurier, thym, poivre, une gousse d’ail, un bon verre de vin rouge vieux. Laissez réduire jusqu’à ce que le vin soit évaporé. Liez avec une cuillère de farine et un peu de bouillon. Passez votre sauce au chinois. Faites griller des tranches de pain dans du beurre, mettez dessus les membres des grives, versez la sauce et faites réchauffer le tout au four. Servir très chaud. Tel on le prépare au Bourg-saint-Andéol. »
Caillette à la grive
Pour 6 personnes : 500 g de foie de porc, 250 g de chair de porc gras et maigre, 50 g de lardons. Couper le tout en lamelles minces, faire macérer avec deux grives et la crépine, dans du vin blanc avec sel, poivre, une grosse pincée d’épices (poivre, coriandre, muscade, fenouil, genièvre, le tout pilé finement), pendant 48 heures. Désosser les grives, hacher toutes les viandes finement, ajouter une poignée de chapelure. Mouler les caillettes et les couvrir de crépine. Faire cuire à four moyen. Servir froid.
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Une fois dans l’hiver mon mari
avait tué vingt-deux merles…
JEUNES MERLES, GEAIS, CORBEAUX, PIES ET AUTRES OISEAUX
« Une fois dans l’hiver mon mari avait tué vingt-deux merles, il m’a fallu faire cuire tout ça. C’est bon le merle. »
Tout ce que la nature offrait à portée de la main pouvait être considéré comme nourriture possible. Et l’on ne se privait pas de voler au nid - les adultes étant trop coriaces - geais et quelquefois pies (mais quelle piètre chère que ces dernières !) et surtout les merles. On les bardait de lard (Eliette Soullier enlevait la peau du geai avant de le barder) et les faisait rôtir. Le merle se prépare comme les grives. Le corbeau aussi passait à la casserole : « on le faisait bouillir : ça fait un bouillon blanc, et il paraît que le bouillon est bon… » Mais là ne s’arrêtait pas le tableau de chasse. Et c’est sur le ton de la confidence, un brin gênée que l’on avoue s’être parfois régalé en hiver de ces proies faciles que constituaient d’encore plus petits passereaux, rabattus par la neige et le froid auprès des maisons ou des terres cultivées en quête de nourriture : « l’hiver, quand il faisait froid, on prenait des merles, des grives, des petits rouges-gorges, des mésanges, des bergeronnettes (des fois ça faisait mal au cœur !), des pinsons… Alors, les pinsons, quand il faisait très froid, ils se ramassaient en bandes. Ils les appâtaient dans la neige et ils y allaient à la carabine, des bouraïres (1), ils mettaient de la poudre avec une amorce et ils les tuaient avec ça. Ils portaient le panier à salade et ils revenaient avec un plein panier d’oiseaux et nous on plumait, on nettoyait tout ça. Et le soir on mangeait nos petits oiseaux (c’était du luxe) dans la grande poêle et on faisait rôtir ça, roulé dans une barde de lard, dans la cheminée, avec un peu de saindoux. Les merles, on les cuisait dans la cocotte, la coquerle. »
Nourriture providentielle reçue comme une manne céleste en complément de ce que les propriétés trop petites ne pouvaient apporter.
Notes du transcripteur :
(1) Bouraïres : vraisemblablement d’antiques fusils à piston, chargés avec du très petit plomb.
Sources:
- Site web de l'auteur: http://www.sylvetteberaudwilliams.com/
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