Lectures d'été.
Catégorie consacrée à la découverte de livres de chasse divers autres que la chasse des turdidés.
Chasse à l'éléphant au XIXe siècle.
Juillet 2014.
J'étais alors modérateur sur un site fabuleux, dédié à la grive et à ses chasses: Grives.net pour ne pas le nommer.
Eté 2014, bien chaud ! Les grives étaient loin.... Le site ronronnait...
J'avais alors décidé de faire profiter les membres de Grives.net d'un passage particulièrement palpitant de l'excellent livre de Wilbur SMITH : « L’œil du faucon».
Passage si palpitant que je l’avais lu et relu plusieurs fois.
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Eté 2025 (encore plus chaud qu'en 2014 !!).
J'ai décidé de reprendre ce récit et de le partager avec vous qui ne l'avez peut-être pas lu.
Je précise qu’il ne s’agit que d’un extrait du livre de W. SMITH.
Sans doute vous donnera t'il l'envie de lire l’œuvre dans son intégralité, elle en vaut vraiment la peine.
RG
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Résumé:
L’action se déroule durant la 2e moitié du XIXe siècle, en Afrique Australe et plus précisément dans ce qui devait s’appeler plus tard le Zimbabwe, alors inexploré par les Blancs. Le Major Zouga Morris Ballantyne est devenu chasseur professionnel d’éléphants (autre temps, autres mœurs !!). A cette époque, les moyens sont les suivants : une armada de porteurs, des chariots tirés par des bœufs et comme armes, des fusils à chargement par la gueule, poudre noire et balles en plomb durci au mercure. Le calibre ? 10, 8, voire même le calibre 4.
La technique est simple, s’approcher le plus près possible de l’animal sans être détecté et lui loger une balle dans un endroit vital. Des porteurs de fusils fiables et sachant recharger rapidement sont plus que nécessaires…..
Zouga Ballantyne, escorté de son guide Hottentot Jan Cheroot, et de 4 porteurs de fusils qu’il a surnommés : Jean, Luc, Mathieu et Paul s’est lancé à la poursuite d’un gigantesque et très vieil éléphant aux défenses immenses. Le patriarche est escorté par un autre male (askari) chargé de le protéger. Les conditions climatiques sont exécrables, mais Zouga est pris par le démon de la chasse et il s’élance à la poursuite de l’animal….
Calibre 4 juxtaposé, percussion, H. Beckworth (1864-1868)
….A 150 mètres de Zouga, le vieux mâle rejoignit les traces des hommes qui l’arrêtèrent comme s’il avait heurté un mur de verre. Il se ramassa sur son train arrière en arrondissant le dos et levant haut sa tête armée d’ivoire ; ses oreilles en lambeaux soudain déployées comme la grand-voile d’un majestueux navire claquaient avec un bruit de tonnerre contre ses épaules….
Jan Cheroot mit un genou à terre et leva rapidement son mousquet. Au même instant, l’askari marqua un temps d’arrêt et obliqua vers la gauche en croisant la trajectoire de son leader. Peut-être cela avait-il été intentionnel, mais ni Zouga, ni Jan Cheroot ne le pensaient. Ils savaient seulement que le cadet se plaçait sur leur ligne de feu et protégeait l’autre éléphant de son corps.
« Tu le veux ? Eh bien, prends ! » cria Jan Cheroot furieux, sachant qu’il avait perdu trop de terrain en s’arrêtant pour épauler.
Il visa la hanche et le mâle chancela. Des particules de boue rouge jaillirent au point d’impact de la balle, et il ralentit l’allure pour ménager son articulation endommagée en s’écartant de sa route et présentant son flanc aux chasseurs, tandis que le grand mâle poursuivait sa course.
Zouga aurait pu tuer l’éléphant blessé en visant le cœur, car l’animal avait pris un trot trainant et se trouvait à moins de 30 pas, mais il passa à sa hauteur sans s’arrêter et lui accorda à peine un regard, sachant que Jan Cheroot achèverait la besogne. Il poursuivit le grand mâle, mais malgré tous ses efforts, il perdait régulièrement du terrain.
…. Devant eux s’ouvrait une légère cuvette, et au-delà, le terrain remontait vers une autre crête sur laquelle des tecks sauvages se dressaient sous la pluie comme des sentinelles. L’éléphant descendit la déclivité sans perdre de sa vitesse et allongea même sa foulée, si bien que ses pas résonnaient comme le battement régulier d’une grosse caisse et que l’écart se creusait avec son poursuivant, puis, parvenu au fond de la cuvette, il parut stopper son avance.
Le sol détrempé n’avait pas supporté son poids et, enfoncé presque jusqu’aux épaules, il était obligé de se projeter avec violence en avant à chaque pas pour s’extraire de la boue collante….
Zouga se rapprocha rapidement, et l’exultation pris le pas sur la faiblesse et la fatigue. L’ivresse du combat s’empara de lui. Il atteignit le terrain marécageux tandis que le grand mâle se débattait toujours.
Zouga se rapprochait inexorablement. A moins de 20 mètres, il s’arrêta enfin, en équilibre sur un îlot formé par de hautes herbes…..
Il ne pouvait plus commettre d’erreur cette fois…. Il savait où se trouvaient les organes vitaux et les points vulnérables dans la messe gigantesque du corps de l’éléphant. A cette distance et sous cet angle de tir, la balle devait fracasser la colonne vertébrale entre les omoplates sans perdre de sa vitesse et poursuivre sa trajectoire jusqu’au cœur et aux artères qui alimentent les poumons.
Il effleura la gâchette ultrasensible et, avec un « pan ! » de carabine-jouet, le fusil fît long feu…
Zouga atteignît la terre ferme, jeta son arme inutile et, trépignant d’impatience, cria à ses porteurs de lui apporter un autre fusil.
Calibre 6, un coup, percussion
« Dépêche-toi ! Dépêche-toi ! » hurlait Zouga.
Il prit le fusil des mains de Mathieu et s’élança à la poursuite de l’éléphant….
Zouga courait en faisant appel à toute sa volonté, pendant que derrière lui, Mathieu ramassait l’arme qu’il avait jetée et la rechargeait machinalement, emporté par l’excitation de la poursuite.
Il versa une autre poignée de poudre noire sur la charge et la balle qui se trouvaient déjà dans le canon et bourra une seconde balle de plomb d’un quart de livre sur le tout. Ce faisant, il transformait le fusil en une bombe qui pouvait estropier ou même tuer le tireur. Mathieu glissa une amorce sur la cheminée et escalada la pente à la suite de Zouga.
L’éléphant approchait de la crête et Zouga ne gagnait guère de terrain. Il était à bout de forces…… Sa vision se brouillait, il trébuchait et glissait sur les rochers couverts de lichen humide, la pluie lui battait le visage et l’aveuglait. A une soixantaine de mètres devant lui, le grand mâle atteignît la crête et fit alors ce que Zouga n’avait encore jamais vu faire par un éléphant traqué : les oreilles dressées, il se tourna de coté pour regarder les chasseurs et leur présenta le flanc…….
Pendant un moment il resta ainsi, dressé de toute sa hauteur sur le fond du ciel gris, luisant de boue et de pluie ; la déflagration résonna comme une grosse cloche de bronze, la longue langue de flamme rouge brilla brièvement dans la semi-obscurité et la balle l’atteignit à l’épaule.
Le coup fit chanceler l’homme et la bête, Zouga déséquilibré par le recul, l’éléphant percuté par la balle en pleine poitrine et ployant son arrière-train, ses vieux yeux chassieux se fermant sous le choc.
Malgré la violence de l’impact, le grand mâle resta debout ; il rouvrit les yeux et vit l’homme, cet animal détesté, nauséabond et obstiné qui le persécutait avec acharnement depuis tant d’années.
Il s’élança vers lui comme une avalanche de granit et ses barrissements se répercutèrent contre le ciel bas ; Zouga se retourna et s’enfuit devant la charge tandis que le poids de l’animal tout proche faisait trembler la terre sous ses pieds.
Mathieu resta en position malgré le terrible danger. Zouga lui en fut immensément reconnaissant. Il accomplissait son devoir et tendait le second fusil à son maître.
Zouga le rejoignit, l’éléphant sur ses talons, lâcha son arme encore fumante, arracha le fusil des mains de Mathieu, sans se douter un seul instant qu’il contenait une double charge, et fit volte-face en tirant le chien et en épaulant.
L’énorme animal était sur lui, cachant le ciel de sa masse, ses longues défenses dressées comme des troncs d’arbre, sa trompe se déroulant déjà pour saisir Zouga.
Zouga appuya sur la gâchette, et cette fois-ci le coup partit. Avec un bruit épouvantable, le canon explosa et s’ouvrit comme les pétales d’une fleur, la poudre lui brûla le visage et la barbe. Le chien arraché lui lacéra profondément la joue juste sous l’œil droit ; l’arme lui échappa des mains et lui enfonça l’épaule avec une telle violence qu’il sentit les ligaments et les tendons se déchirer. Il fut culbuté en arrière et se retrouva hors de portée de la trompe meurtrière.
Il tomba lourdement derrière un tas de pierres, l’éléphant s’arrêta, accroupi sur ses pattes de derrière pour éviter la flamme et la fumée de l’explosion, un instant aveuglé, puis il vit le porteur de fusil, toujours debout devant lui.
Le pauvre, le brave et fidèle Mathieu se mit à courir, mais l’éléphant le rattrapa avant qu’il ait parcouru 10 mètres. Il le saisit par la taille avec sa trompe et le projeta en l’air comme s’il avait été aussi léger qu’une balle en caoutchouc. Mathieu monta à une douzaine de mètres en battant des bras et des jambes, ses cris de terreur couverts par les barrissements assourdissants. On eût dit le sifflement d’une chaudière surchauffée par un machiniste fou, et Mathieu parut s’élever lentement dans les airs, rester suspendu un instant puis retomber au ralenti.
L’éléphant le rattrapa au vol et le renvoya encore plus haut.
Zouga réussit à s’asseoir. Son bras droit pendait inerte, le sang coulait à flots de sa joue et inondait sa barbe, ses tympans étaient si traumatisés par l’explosion que les cris de l’éléphant lui semblaient lointains et étouffés. A moitié groggy, il leva les yeux et vit Mathieu monter très haut puis retomber lourdement et l’éléphant commencer à le tuer.
Se détournant de ce macabre spectacle, Zouga posa le fusil vide sur ses genoux et entreprit de le recharger de la main gauche.
A vingt pas de lui, l’éléphant s’agenouillait au-dessus du corps décapité et lui plongeait une défense dans le ventre.
Zouga parvint péniblement à verser une poignée de poudre dans la gueule de son fusil en s’efforçant de ne pas se laisser distraire de sa tâche.
L’éléphant leva sa trompe et l’enroula comme un python autour du corps martyrisé de Mathieu qui pendillait empalé sur la défense rouge de sang.
Zouga laissa tomber une balle dans le canon et la bourra d’une main avec son refouloir.
L’éléphant arracha un bras du cadavre qui glissa de la trompe et retomba par terre.
Gémissant de douleur, Zouga pointa son arme et tira le chien dont le puissant ressort résistait.
Agenouillé sur ce qui restait de Mathieu, l’éléphant le réduisait en bouillie en l’écrasant contre la roche.
En tirant son arme avec lui, Zouga rampa jusqu’au tas de pierres derrière lequel il était tombé. Toujours de la main gauche, il y posa en équilibre la crosse du lourd fusil.
L’animal continuait de pousser des cris furieux tout en poursuivant sa besogne.
A plat ventre, Zouga visa, mais d’une main, il était quasiment impossible de maintenir l’arme dans la bonne position et sa vision s’embuait et tremblotait sous l’effet de la douleur et de l’épuisement.
Pendant un instant, la mire se trouva alignée avec l’œilleton, et il laissa partir le coup.
Les barrissements de l’éléphant s’arrêtèrent brusquement. Quand la fumée fut emportée par la brise, Zouga vit que le grand mâle s’était péniblement redressé et se balançait d’un pied sur l’autre. Sa tête massive s’affaissait sous le poids de ses défenses maculées de sang et sa trompe pendait aussi mollement que le bras blessé de Zouga.
Un bourdonnement lugubre s’échappait de la poitrine de la bête et, au rythme de son énorme cœur, son sang jaillissait par jets réguliers de la blessure ouverte par la deuxième balle juste derrière l’articulation de l’épaule et coulait le long de son corps en un flot épais comme du miel.
L’animal se tourna vers l’endroit où Zouga était allongé et se dirigea vers lui en soufflant comme un vieillard épuisé et en agitant l’extrémité de sa trompe, mû par un reste d’instinct guerrier.
Zouga essaya de s’éloigner en rampant mais fut rattrapé par l’éléphant et, tandis que l’énorme masse cachait tout le ciel au-dessus de lui, la trompe toucha sa cheville. Malgré ses coups de pied frénétiques, le pachyderme resserra sa prise avec une force insupportable, Zouga savait qu’i allait lui arracher la jambe.
Puis la bête grogna en exhalant l’air de ses poumons déchirés, l’étreinte autour de la cheville de Zouga se relâcha et le vieux mêle mourut à ses pieds ; ses jambes s’affaissèrent sous lui et il s’écroula.
Son poids fit trembler la terre sous le corps prostré de Zouga, et Jan Cheroot, qui traversait le passage marécageux à un kilomètre de là, entendit distinctement le bruit mat de la chute.
Zouga laissa tomber sa tête sur la terre, ferma les yeux et les ténèbres l’engloutirent.
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Ce récit est tiré, comme indiqué au début, d’un roman de W. SMITH. Pour l’écrire il s’est inspiré de la vie d’un chasseur “professionnel” Frederic Courtney SELOUS dont les aventures cynégétiques dépassent largement la fiction.
Pour plus d’info. voir ici: http://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Courtney_Selous
ou ici (pub gratuite): https://www.montbel.com/selous-la-longue-piste-de-l-ivoire-c2x35194511
- A propos de Wilbur Smith:
Né le 9 janvier 1933 à Broken Hill en Rhodésie du Nord (Zambie) et mort le 13 novembre 2021 au Cap ( Afrique du Sud), W. Smith est un écrivain et romancier sud-africain et britannique de langue anglaise.
Il a écrit plus de 50 romans d'aventures, souvent centrés sur l’Afrique, l’histoire, et les grandes épopées humaines.
Cf la liste de ses œuvres: https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilbur_Smith
Avertissement aux lecteurs : Attention, la lecture de l'œuvre de W. Smith est extrêmement addictive, nuits blanches garanties !!!
La Chasse des Canards: Une expédition en Camargue. 1/2
1er Août 2025
477 pages...
477 pages de pur bonheur !
LA CHASSE DES CANARDS du Dr Ch. ROCHER m'a été offert par mon épouse en 1977.
Illustré par LAMOTTE, F. BERILLE, Th. de CONAC, X. de PORET
et R. REBOUSSIN, je l'ai lu maintes et maintes fois sans jamais me lasser.
C'est une véritable bible, l'ouvrage de référence pour les passionnés de chasse aux canards. C'est une somme technique sur les migrateurs, leur chasse, la construction d'une hutte ou d'une tonne, etc... Réalisé avec les souvenirs et le carnet de chasse de René Dupeyron, ce livre est empreint de poésie. Il nous parle d'une époque heureuse quand les anti de tout poil, animalistes et autres adeptes du bien-être animal n'existaient pas !
Comment choisir parmi tous ces récits ? Tous aussi prenants les uns que les autres. Alors, étant Provençal, en toute partialité, j'ai choisi " Une expédition en Camargue " de R. Dupeyron.
Bonne lecture !
RG
C'est tout à fait par hasard que je fis connaissance avec l'ensorcelante Camargue. Pourquoi n'essaierais-je pas un jour d'aller y hutter ? C'est la pensée qui me vint un jour et le 25 novembre 1918, je partis de Bordeaux emportant mon browning calibre 12, un fusil ordinaire calibre 10 à deux coups, deux grandes panières en osier et une énorme valise.
Il me fut difficile de trouver un compartiment vide pour caser tout mon matériel. Mais j'arrivai à tout loger ; les locataires de mes panières qui n'avaient rien dit pendant le trajet commencèrent alors à cancaner. J'emportais un bien précieux ; douze canes, et quatre mâles. Le tout trié sur le volet, c'était mon meilleur jeu ; il y avait notamment ma fameuse " Rosalie " qui eût une triste fin mais, ça, c'est une autre histoire !
Arrivé à Arles avec mon fourniment, je chargeai le tout sur une petite charrette à bras ; arrivé à l'hôtel, obligé de passer la nuit pour prendre le train pour les Saintes le lendemain matin, je demandai une grande chambre ; j'y transportai moi-même en vitesse, mes panières. Je trouvai très heureusement le sol de ma chambre carrelé. Mon premier travail fut de sortir mes braves appelants. Ils étaient affamés et courbatus après ce petit voyage de treize heures.
J'avais pris soin de mettre au milieu de la pièce deux cuvettes pleines d'eau.
Allons, tout va bien; ils n'ont pas l'air trop dépaysés, battent des ailes, tendent leurs pattes, plument délicatement leurs jabots et s'avancent en tendant leurs cous vers le précieux liquide. Maintenant tout le monde se rafraîchit et fait sa toilette. Et pendant que d'un oeil attendri je surveille leurs ébats, j'ouvre ma grande valise et sors un petit sachet dont je répands le contenu : c'est du bon maïs cinquantini. Alors ils se précipitent et, goulûment, absorbent leurs grains à une vitesse record sans oublier de boire une petite gorgée de temps à autre. ils cancanent doucement et je constate avec plaisir qu'ils sont bien élevés.
Satisfait et rassuré sur la santé de mes compagnons je pensai, en contemplant ce spectacle, à l'état de la chambre. Dans ces conditions il valait mieux que j'emporte la clef dans ma poche. Il était heureux aussi que je ne reste qu'une nuit, sans cela il aurait bien pu se faire que l'on me demande d'aller me faire pendre ailleurs. Toutefois je priai Dieu pour que mes canards soient raisonnables et vite je fermai les volets et tirai les rideaux; dans le noir j'avais espoir qu'ils resteraient tranquilles...
Ce fut effectivement une nuit sans histoire. Bien gavés, repus, mes terribles chasseurs dormirent comme leur maître, du sommeil du juste. Mais au réveil, juste à la pointe du jour, quel vacarme ! Je ne reconnaissais ni "Rosalie", mon court-cri, ni mes autres canes. Tout le monde hurlait sans faiblesse et sans répit avec des reprises magnifiques. Brusquement dressé sur mon lit je pensai que pas un vol n'aurait osé passer sans s'arreter devant un rappel aussi magistral.
Je fus tiré de mon admiration par des coups sourds qui résonnèrent à la cloison de droite, puis à celle de gauche, mais qui dominèrent les appels de mes canards. J'entendis des voix, une sonnerie, des portes qui s'ouvraient et je pensai soudain que j'étais dans un hôtel et non point à la hutte. Alors je bondis et, à toute allure, je ramassai mes bruyants amis et les enfermai en vitesse dans leur panière. Il y eut un sacré mâle qui se mit sous le deuxième lit et que je ne pus arriver à attraper; "enfin celui-là, heureusement, ne fera pas trop de bruit" me dis-je. On frappa à ma porte et je demandai d'une voix angélique: "qu'est-ce qu'il y a ?" - "C'est moi, le patron, je voudrais vous parler, car il paraît que vous avez des bêtes qui font un bruit infernal et tout le monde est debout dans l'hôtel." - "Ça doit être une erreur, Monsieur, car vous n'entendez rien chez moi, et vous venez de me réveiller." - "Ah, bien, merci Monsieur, je vais voir plus loin." Et j'entendis des palabres dans les couloirs... Le désastre était certain, il y avait de l'eau partout. Comment faire disparaître les traces ? ... Et l'odeur ? ... Peut-être y aurait-il un domestique débrouillard... On allait bien voir !
J'ouvris les fenêtres. Il faisait un temps splendide. Heureusement j'étais au rez-de-chaussée; j'avais toujours la possibilité de faire passer mes panières par la fenêtre. Je m'habillai en hâte, mes lascars ne bougeaient plus; je pus récupérer mon mâle lorsqu'il voulut aller boire, et je le mis avec ses compagnons. Je sortis alors sur la pointe des pieds comme un malfaiteur après avoir fermé à clé les lieux du délit. J'arrivai dans le hall et je vis un homme en bras de chemise qui tournait le dos. Etait-ce le patron ou le domestique ? "Pardon, est-ce vous qui vous occupez des chambres du rez-de-chaussée ?"
Il se retourna et je constatai qu'il avait une bonne tête.
"Oui, c'est moi, Monsieur.
- Voulez vous m'accompagner, j'ai besoin que vous me rendiez un petit service."
Il m'accompagna, j'ouvris la porte, il entra; je me plaçai devant lui pour ne pas lui montrer d'un seul coup ce qui avait été une chambre d'hôtel et je lui expliquai en quelques mots ce que j'attendais de lui. En même temps je lu glissai dans la main un argument plus sérieux. Je me déplaçai alors et lui indiquai le dégât à réparer.
J'avoue que c'était un brave homme. Il ne dit rien et n'eut pas l'air trop dégoûté. Il me sembla même voir un sourire sur sa bonne figure.
"C'est que moi aussi j'aime la chasse, et n'ayez crainte, tout va être mis en place avant votre départ."
Je respirai. Personne, sauf lui, ne connut le fin mot de l'histoire et je pus m'embarquer dans le petit train qui va aux Saintes.
J'y arrivai sans encombre. Il faisait un temps magnifique. A l'hôtel je pus loger mes canards d'une façon normale, c'est à dire dans une basse-cour, mais les gens se demandaient ce que je pouvais bien vouloir faire de ces animaux, car personne dans cette région ne chassait avec des appelants vivants.
Je me procurai du maïs pour le séjour aux Saintes et je fis la connaissance d'un menuisier qui voulut bien me construire une caisse de 1,50 m. de haut et 1 mètre de large, juste de quoi pouvoir se loger assis avec un grand guichet devant; c'était une hutte miniature transportable.
A suivre:
Une expédition en Camargue, 2/2 : Une nuit de hutteau