Des grives aux merles

Des grives aux merles

SOUVENIRS DE CHASSE POUR CHRISTIAN, R. Chambe (Flammarion)

Le général René Chambe, héros de l’aviation des deux guerres mondiales, a conservé avec une étonnante fraîcheur les souvenirs de son enfance et de ses premiers pas de chasseur en compagnie de son frère. Il livre avec une superbe plume les émouvants récits de sa vie quotidienne au contact de la nature, de sa famille et des chasseurs du village, autour de son cher château de Monbaly, en Bas-Dauphiné, dans les dernières années du XIXe siècle.

A lire absolument : Le cor de Monsieur de Boismorand, Propos d’un vieux chasseur de coqs, Les cerises de Monsieur Chaboud. Ouvrages disponibles chez Montbel éditions ( http:///www.montbel.com/index.cfm), Amazon, Priceminister, Ebay, etc... Publicité gratuite!!!

 

Souvenirs de chasse pour Christian (Copier).jpg

 

 

… Les grives sont là…

     De proche en proche, nous entendons dans l’infinie sérénité du crépuscule, sous l’épaisseur des feuillages, de timides appels d’oiseaux percer le silence, toujours sur la même note monotone, répétée de minute en minute, une note unique et triste, une note taciturne, qui fait songer à quelque goutte d’eau tombant dans une vasque invisible, avec une sonorité de cristal. Ce sont des grives qui se répondent, certaines tout près de nous.

    Mais impossible de les voir ! La grive ne bouge jamais, elle ne se trahit jamais par le moindre mouvement. Elle reste strictement immobile. Si elle remue, c’est pour aussitôt s’envoler. Elle s’esquive alors par un plongeon rapide à travers les branches. Trop tard pour la tirer ! Si, au contraire, elle arrive au-dessus de vous, dans un arbre, et si vous n’avez pu immédiatement situer l’endroit précis où elle vient de se poser, c’est fini, vous ne la verrez plus. Ne cherchez pas. Ne faites pas le moindre geste, le moindre bruit, pour essayer de la découvrir. Hop ! ça y est ! Je vous l’avais bien dit, vous avez bougé, elle est partie ! Dommage, c’était une belle, et elle serait restée là longtemps, très longtemps !

    Comprenez bien, j’insiste, surtout ne bougez pas ! Si vous avez une patience aussi grande que la sienne, des yeux aussi bons que les siens et si vous avez aussi beaucoup de chance, peut-être parviendrez-vous, si elle vous fait face, à discerner dans l’entrelacs des feuilles et des brindilles son gilet blanc, brodé de points noirs, avec un peu de jaune pâle vers la gorge (si elle vous tourne son dos brun-vert, couleur d’écorce d’arbre, vous ne la verrez jamais). Ça y est, vous la voyez ? Alors élevez doucement, très doucement, la crosse de votre carabine jusqu’à votre épaule. Visez calmement. Dans la joie de votre découverte, ne vous pressez pas, vous avez le temps. Quand même, ne tardez pas trop ! Le canon de votre arme peut vous trahir de son reflet. Attention, elle vient de tourner la tête ! Allez, tirez ! Pan ! Bravo ! Voyez, elle tombe de branche en branche. Bien tiré ! Elle était haut, celle-là ! Et protégée par une ramure épaisse, par un rideau de brindilles très serré ! Je n’aurais jamais cru que vous l’ayez ! Avec quel plomb l’avez-vous tirée, avec du 8 ? Non, avec du 7. C’est un bon plomb pour chasser la grive au bois, d’autant plus qu’en cette saison on peut déjà trouver une bécasse dans les fourrés. Alors, celle-là, il faudra vite la tirer !

    Mais pauvres de nous ! Nous n’avons, nous, aujourd’hui, que des carabines à air comprimé, avec un seul plomb !

    - Froû ! Froû ! Froû ! Elles volètent de partout ! C’est fou ce qu’il y en a ! Mais impossible de les voir ! Pour un passage, c’est un fameux passage ! Ce sont les graines de lierre du mur qui les attirent.

    Voici plus d’une heure que nous allons et revenons à pas comptés, retenant notre souffle. Des dizaines et des dizaines de grives se sont croisées en tous sens devant nous, haut dans le ciel, aperçues le temps d’un éclair à travers les branches, aussitôt disparues dans l’ombre du feuillage. D’autres, parfois, se sont envolées à grand bruit, à toucher le bout de nos carabines, s’arrachant avec des cris d’effroi à l’épaisseur du lierre, surprises en train de se gorger de graines noires. Nous avons eu plus peur qu’elles, le cœur nous sautant dans la poitrine.

    Nous n’avons réussi à tirer que deux fois et toujours dans de mauvaises conditions, sur des grives posées, bien sûr (nous sommes loins de savoir tirer au vol), mais vraiment impossibles à atteindre, à trop grande distance, ou masquées par trop de branches. Jamais de près et à découvert.

    Le soir tombe, c’est fini. Nous allons être bredouilles avec un passage pareil et, par-dessus le marché, alors que pour la première fois nous sommes armés de carabines ! C’est tout de même mortifiant, affreux ! Déjà, dans la profondeur des halliers, les trilles frénétiques des merles, dernier chant de la forêt qui va s’endormir, annoncent l’arrivée de la nuit, ils sonnent le couvre-feu, la fin de la manœuvre…

 

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28/05/2016
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