Les "fruits de la vigne: les "vendangeuses"
« Les jeunes Paysans qui demeurent dans des Pays de Vignes prennent quantité de Merles, Grives, Tourterelles et autres sortes d’oiseaux qui mangent les raisins » (Chomel 1741, t. 2, p. 30). Au temps des vendanges, la chasse des hommes fait écho à la collecte féminine des escargots. Mais si ces derniers vivent toute l’année alentour des ceps, les premiers ne sont que des ausels de vendemia, des oiseaux de vendange qui « arrivent par bandes les 27 ou 28 août et repartent vers le 10 octobre. ». Leur migration coïncide avec celle des travailleurs saisonniers et Alban Vergne répondant aux questions d’Antonin Perbosc en cite six variétés qu’il regroupe sous le nom générique de « vendegnols », vendangeurs Un peu partout en France, Turdus musicus et Turdus iliacus, la grive commune et le mauvis sont, indistinctement d’une région à l’autre, appelés, au féminin, « grive de vigne » et « vendangette » (Rolland, Faune II, pp. 237, 244).
Femmes ou oiseaux les vendangeuses semblent partager une passion commune pour le raisin. Au début du xviiie siècle J. Boullay mettait en garde les propriétaires de l’Orléanais contre les ouvrières venues de la ville « qu’on apele comunément pances de mouton parce qu’elles ressemblent à cet animal, en ce qu’elles mangent presque toujours », « si avides de raisins » « qu’elles portent la dent sur la plupart de ceux qui leur plaisent » ce qui, outre la perte ainsi occasionnée nuit encore au rendement car « la trop grande repletion est un obstacle au travail » (Boullay 1981, p. 562). Au milieu du xxe siècle, dans le Narbonnais, les vignes du « Maritime » situées non loin de la mer, attirent les jeunes filles « de bonne famille même », qui viennent y vendanger pour profiter des effets conjugués de l’air, du soleil mais aussi des raisins : « On était persuadés que ça nous faisait énormément de bien. Ah oui, on le pensait ! Parce que le raisin que nous mangions à jeun, ça faisait une cure » (Amiel, Charuty, Fabre-Vassas 1981, p. 96). Les grives qui, en temps ordinaire, se nourrissent de différentes baies pratiquent elles aussi ce régime salutaire. La grive « aime fort le gui mais particulièrement le raisin qui l’engraisse » (Chomel 1741, t. 1, p. 360), c’est en septembre surtout que sa chair « est un excellent mets » (Joigneaux, s.d., t. 2, p. 1012).
« Pendant les vendanges les grives mangent beaucoup de raisins », leur appétit aussi insatiable que celui des « pances de moutons » est à l’origine de l’expression « saoul comme une grive dont on se servait autrefois à propos d’une personne qui avait trop mangé ou trop bu et qui s’emploie aujourd’hui quand on parle d’une personne ivre » (Rolland, Faune II, p. 235). Gavées de raisins, les « vendangeuses » ne seraient donc pas seulement dodues à souhait, leur chair imbibée aurait l’arôme subtil du vin. En traduisant le nom languedocien d’un des « oiseaux de vendange », l’Ibrogno (l’ivrogne), par le « vineux », Alban Vergne semble confirmer cette qualité du goût qu’on leur prête. Il en conteste pourtant, curieusement, la réalité, la niant à l’encontre de tous :
- Lettre d’Alban Vergne:
C’est une blague de dire qu’ils se saoulent de raisins ; ils n’en mangent jamais, pas plus que les grives(...)
Autre détail : après un ou deux jours de pluie les vendegnols deviennent si gros qu’ils ont peine à voler ce qui fait dire qu’ils sont saouls.
Or, l’explication de cette lourdeur est tout simplement liée à l’abondance de l’automne, à la richesse de la nourriture des oiseaux qui, mangeant plus qu’à satiété, acquièrent avec leur embonpoint une irrésistible paresse. Si le point d’ancrage du statut de ces « vendangeurs » se situe dans l’observation de leurs mœurs, la remarque d’Alban Vergne en est d’autant plus intéressante car, en refusant l’idée d’une véritable relation écologique entre la vigne et les oiseaux ne fait-il pas la preuve a contrario que celle-ci n’est pas toujours nécessaire pour que soit établi un rapport symbolique. Dire que les « vendegnols » sont surtout friands d’insectes, que leur « ivresse » est due à l’eau de pluie n’est-ce pas, en effet, marquer toute la distance qu’il y a entre le système naturel et celui imaginé par l’homme ?
Les correspondances que nous avions déjà mises en évidence entre la souche et le monde végétal se prolongent donc dans la faune des vignes. Mais la présence animale est plus profonde encore. Tandis que certains, comme la grive et l’escargot entre autres, acquièrent des qualités qui en font, à quelque degré, des productions de la vigne, cette dernière est à son tour marquée par des bêtes qui possèdent avec elle de curieuses affinités. Ici aussi, plus que l’espace, c’est la plante qui va être le support de ces échanges entre espèces végétale et animale. Avec cette ultime confrontation nous allons clore un champ de recherche qui va trouver son aboutissement dans la réciprocité du goût qui unit animaux et fruits de la vigne.
Source: Christiane Amiel, Les fruits de la vigne, représentations de l'environnement naturel en Languedoc, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme -Paris-, collection ethnologie de la France, chapitre 3, "la vigne animale"
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