LE GRAND DICTIONNAIRE DE CUISINE, Alexandre Dumas, Grives et Merles.
Célèbre écrivain français né à Villers-Cotterets en 1802 et petit-fils d'aubergiste.
Très fier de ses talents culinaires,il entreprend en 1869 l'écriture de son "Grand Dictionnaire de Cuisine". qui ne paraîtra qu'en1872, après sa mort en 1870.
Sur le plan strictement culinaire, son dictionnaire est peu fiable mais malgré ses erreurs et ses lacunes, il est écrit dans un style alerte, divertissant et il fourmille d'anecdotes.
Alexandre Dumas est l'une des plus fines gueules de son siècle, il est l'ami des plus grands chefs et les nombreuses recettes, qu'il assure avoir toutes expérimentées, sont peu précises mais terriblement apéritives.
Dilemme...
Comment classer ce document ?
En effet,Il relève à la fois de la littérature et de l'art culinaire...
Après moult hésitations, j'ai choisi de privilégier l'écrivain. Choix dicté, sans doute, par le souvenir impérissable du merveilleux romancier que fut Dumas.
Savourons donc comme il se doit cette page consacrée aux grives et aux merles.
RG
Grives et merles
Les grives, les merles et beaucoup d'autres oiseaux ne doivent être mangés qu'à la fin de novembre ; engraissés d'abord dans les champs et dans les vignes, ils vont ensuite parfumer leur chair au bord des bois avec des graines de genièvre. Si vous êtes trop pressé de jouir, si vous les tuez avant le temps, vous ne leur trouverez pas ce fumet, cet arôme incisif qui est tant recherché des vrais friands. Horace, Martial et même Gallien connaissent toute la valeur des grives.
« Nihil melius turdo », dit Horace.
Le favori d'Auguste et de Mécène en mangeait tant qu'il voulait, non pas qu'il fût assez riche pour en acheter tous les jours, sa médiocrité dorée n'allait pas jusque-là, mais il était fêté partout.
Le pauvre Martial au contraire faisait souvent maigre chère et lorsqu'une invitation à dîner venait le surprendre, la joie éclatait en ses yeux et il se disait :
« Il y aura probablement des grives. »
Lucius Apicius et tous les grands gourmands de Rome en faisaient le plus grand cas. Ils les engraissaient dans d'immenses volières de compte à demi avec les merles. Chacune de ces volières en contenaient trois ou quatre mille ; dans ces volières, les grives étaient privées de la vue des bois et des champs afin que rien ne pût les distraire de l'envie d'engraisser.
Varron cite une maison de campagne où l'on avait engraissé cinq mille grives dans une année. On les servait sur les tables les plus somptueuses et on les donnait aux convalescents pour réparer leurs forces.
Pompée tomba malade et, étant entré en convalescence, son médecin lui ordonna de manger des grives, mais Pompée n'avait pas de volière.
« Allez en demander à Lucullus, il ne vous en refusera pas, lui dit son médecin.
- Eh quoi ! s'écria-t-il, c'est donc à dire que Pompée ne pourrait pas vivre, si Lucullus n'était pas un gourmand ! » En France, il y a un proverbe qui dit :
« Quand il n'y a pas de grives on mange des merles. » Les Corses ont retourné ce proverbe et disent :
« Quand il n'y a pas de merles, on mange des grives. » C'est que les merles de Corse et de Provence sont très renommés parce qu'ils se nourrissent de graines de myrtes et de genièvre.
L'oncle de Napoléon, le cardinal Fesch, archevêque de Lyon, en faisait venir tout l'hiver de la Corse. On allait dîner chez son Eminence pour ses nobles manières, pour son gracieux accueil et surtout pour ses merles.
La saison des vendanges est la meilleure époque pour prendre et manger des grives, car elles se sont nourries de raisin et leur chair en est plus tendre et plus savoureuse.
Grives rôties.
Vous plumez vos grives et les faites refaire (1) sans les vider, puis vous les faites cuire à la broche et les servez comme les mauviettes (2) avec des rôties dessous.
Grives en ragoût.
Accommodez proprement les grives, passez-les à la casserole avec lard fondu, un peu de farine pour bien lier la sauce, un verre de vin blanc, sel, poivre, bouquet garni, laissez mitonner un peu le tout et servez avec un peu de citron.
Grives à l'eau-de-vie.
Epluchez bien vos grives, écrasez-les un peu sur l'estomac, mettez-les dans une casserole avec du lard fondu, deux petits oignons, champignons, truffes, quelques morceaux de ris de veau, faites-leur faire quelques tours, mouillez- les de deux verres d'eau-de-vie, faites-les cuire à grand feu, allumez l'eau-de- vie que vous avez versée sur vos grives, quand il est éteint, ajoutez-y un peu de réduction (3) et de coulis, achevez de les faire cuire doucement, dégraissez-les et servez.
Entrée de grives au genièvre.
Vos grives étant plumées, épluchées et retroussées, vous les couvrez de bardes de lard et de papier beurré, puis vous les attachez sur une broche et les faites cuire.
Mettez dans une casserole un peu de jus et de coulis, un verre de vin blanc, faites bouillir, ajoutez un jus de citron et une douzaine de grains de genièvre que vous aurez fait blanchir.
Vos grives étant cuites, vous ôtez les bardes de lard et le papier et les mettez mitonner dans le coulis, puis vous les dressez sur un plat, les dégraissez et servez chaudement pour entrée.
Grives à la polonaise.
Epluchez vos grives, aplatissez-les sur l'estomac, passez-les quelques tours dans une casserole avec lard fondu, truffes, champignons, cinq ou six petits oignons, bouquet garni, un ris de veau blanchi, une tranche de jambon, puis vous les mouillez d'un verre de vin de Champagne et d'un peu de réduction et de coulis, ajoutez sel et poivre, faites cuire à petit feu, dégraissez le ragoût. Quand elles sont cuites, mettez-y un jus de citron, ôtez le bouquet et la tranche de jambon, et servez à courte sauce (4).
Pâté chaud de grives.
Videz vos grives, gardez-en le foie, retroussez-les et battez-les sur l'estomac avec un rouleau, piquez-les ensuite de gros lard et de jambon, assaisonnez de sel, poivre, fines herbes et fines épices, et fendez-les par le dos. Pilez ensuite les foies avec du lard râpé, champignons, truffes, ciboules, persil, sel et poivre, fines herbes et fines épices le tout bien pilé et farcissez-en le corps de vos grives.
Hachez encore et pilez du lard, faites une pâte composée d'un oeuf, de bon beurre, de farine avec un peu de sel ; formez deux abaisses (5), jetez-en une sur du papier beurré, prenez du lard pilé dans le mortier, étendez-le sur l'abaisse et rangez les grives dessus, ajoutez quelques truffes, des champignons, une feuille de laurier, le tout couvert de bardes de lard, couvrez avec votre seconde abaisse, formez en les bords, dorez votre pâté et mettez-le au four. Quand il est cuit, retirez-le, ôtez le papier, ayez un bon coulis, quelques ris de veau, champignons et truffes, levez le couvercle du pâté, ôtez les bardes de lard qui sont dessus, et avant de servir mettez-y votre ragoût en y pressant un jus de citron, et servez chaudement pour entrée.
Grives à l'anglaise.
Epluchez et retournez vos grives sans les vider, embrochez-les avec un hâtelet (6), posez ce hâtelet sur une broche et fixez-la des deux bouts, enveloppez vos grives de papier, faites-les cuire à moitié, ôtez le papier, mettez un morceau de lard au bout d'un hâtelet, faites prendre le feu à votre lard et durant qu'il brûle, faites-le dégoutter sur vos grives, saupoudrez-les d'un peu de sel fin et de mie de pain, donnez-leur une belle couleur, dressez-les et servez à côté une sauce au pauvre homme (7) liée avec un morceau de beurre.
Source: Société des Amis d'Alexandre Dumas
(1) Faire refaire: faire revenir.
(2) Mauviettes: alouettes.
(3) Réduction: sauce ou jus épaissi par évaporation de l'eau contenue.
(4) Courte sauce: sauce peu abondante.
(5) Abaisse: pièce de pâte applatie.
(6) Hâtelet: petite brochette.
(7) Sauce au pauvre homme: initialement, sauce froide faite avec de l'eau, du sel et de la ciboule.
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