Des grives aux merles

Des grives aux merles

La détonation "silencieuse".

Dans le contexte de la chasse au poste à feu, où l'utilisation de munitions efficaces à moyennes portées et à bas bruit est privilégiée, cet article très technique, je dois le reconnaître, pourra présenter quelque intérêt pour le lecteur en quête de ce type de munitions.

Il a, en outre, le mérite de rappeler les principes qui régissent l'élaboration des munitions dîtes "silencieuses".

RG

 

 

Le texte ci-dessous est une traduction d’un article de R. Serino, intitulé « Lo sparo invisibile », article publié en décembre 2013 dans la revue italienne « Armi e Tiro ».

Le texte original (en italien) peut être consulté en cliquant sur le lien suivant :

http://www.sannicandro.org/data/news/Articolo_Trombetta.pdf

 

 

 

Pour obtenir une cartouche vraiment silencieuse pour la chasse au poste, il ne suffit pas que les plombs se déplacent à une vitesse inférieure à celle du son. Il faut encore trouver des solutions innovantes au niveau de la combustion de la poudre.

Un passionné (Pietro Trombetta) a trouvé le moyen de descendre à 60 décibels !

Depuis des temps immémoriaux, la pratique cynégétique fait appel à des solutions souvent très éloignées des canons officiels du rechargement. Au cours de ces dernières années, des pratiques bien connues des vieux chasseurs, qui semblaient être tombées dans l’oubli, ont été reprises et se sont répandues et ont retrouvé, en quelque sorte, leurs lettres de noblesse. Des termes comme « demi- cartouche » ou « demi-charge », considérés comme méprisants ou dérisoires, synonymes de chargements sans puissance à utiliser à courte distance ou sur du très petit gibier, se sont vus remplacer par des termes plus attrayants, comme « charges réduites », « charges subsoniques » ou « charges silencieuses » et ainsi de suite.

A l’origine de cela il existe un besoin réel, celui de réduire le bruit des détonations. Ce besoin est particulièrement ressenti sur les stands de tir situés à proximité de zones d’habitation où la « pollution sonore » génère des protestations très souvent exploitées pour faire obstacle à l’activité sportive.

 

Les solutions actuelles :

Le problème a été résolu par les fabricants de poudres avec les munitions dites « subsoniques » qui se caractérisent par une poussée capable de propulser 24 à 28 grammes de plomb à une vitesse d’environ 300 à 330 mètres/seconde.

Mais, il y a d’autres utilisateurs qui demandent la réduction du bruit pour des raisons propres à la chasse : ce sont les chasseurs au poste à feu, pour qui, même la détonation des petits calibres se révèle gênante dans le cadre fermé du poste, avec, en outre, un effet négatif sur le gibier alentour.

Toutefois, la réduction de la vitesse initiale à des valeurs inférieures à celle du son ne s’accompagne pas nécessairement d’une réduction effective de la détonation, dans la mesure où l’onde de choc que provoque un projectile à vitesse supersonique ne représente qu’une partie du problème. L’autre partie est constituée par l’énergie spécifique des gaz brulés qui, après les plombs et la bourre se détendent brutalement à la sortie du canon. L’énergie propre des gaz brûlés s’exprime en termes de pression et de température et se traduit aussi dans le recul de l’arme du fait que leur expansion dans l’atmosphère augmente la vitesse moyenne de la masse gazeuse.

Tant que celle-ci reste confinée à l’intérieur du canon, sa vitesse moyenne est égale à environ la moitié de celle du groupe bourre-charge de plombs, mais quand les gaz se détendent à la bouche du canon, les choses changent et le rapport n’est plus de 50%, mais du double. Et c’est à la dissipation dans l’atmosphère d’une  quantité d’énergie aussi élevée que l’on doit une grande partie du bruit de la détonation.

Il apparait alors évident que pour réduire le bruit, outre la réduction de la vitesse initiale, il est nécessaire, surtout, de réduire l’énergie spécifique des gaz brulés.

Dans un chargement standard, le rapport poudre/plomb habituellement de l’ordre de 1 pour 20 permet d’atteindre des vitesses initiales proches de 400 mètres par seconde. L’énergie spécifique des gaz brulés peut être réduite de diverses façons, avec pour chacune des effets collatéraux plus ou moins acceptables selon le résultat recherché.

Une première solution consiste à diminuer la charge de poudre, et à augmenter la charge de plombs. A due proportion, la réduction de la vitesse est sensible, mais il n’en est pas de même en ce qui concerne l’énergie spécifique des gaz brulés qui diminue peu dans la mesure où le rendement thermique augmente légèrement ; à la bouche du canon, le réduction de la pression est faible.

Une deuxième solution consiste à diminuer seulement la charge de poudre sans modifier celle des plombs. Dans ce cas, la réduction de la vitesse est sensible, mais pas autant que dans le cas précédent. L’énergie spécifique des gaz brulés diminue aussi, du fait d’une détérioration de la combustion ; le rendement thermique diminue également et la pression à la bouche du canon diminue encore davantage.

Une troisième solution consiste à réduire tant la charge de poudre que la charge de plombs. La diminution de vitesse est encore sensible, l’énergie spécifique des gaz brulés diminue aussi du fait de la dégradation de la combustion ainsi que le rendement thermique entrainant une baisse de pression à la bouche du canon.

Une quatrième solution consiste à passer, à dosage égal, à une poudre beaucoup plus lente, avec un pouvoir calorifique plus bas, de façon à « aplatir » autant que possible la courbe des pressions. La diminution de la vitesse est encore plus sensible et il en est de même pour l’énergie spécifique des gaz car la combustion empire, le rendement thermique également et la pression à la bouche tombe.

A l’exception de la première, toutes les solutions envisagées comportent une dégradation de la combustion et donnent lieu à des dépôts de résidus non brulés dans le canon.

Les effets de la réduction de l’énergie spécifique des gaz peuvent être optimalisés par un sertissage plus « souple » qui réduit voire annule le bourrage initial. Par ailleurs, une augmentation de la longueur du canon (dans les limites du raisonnable) a pour effet d’augmenter le rendement thermique, entrainant une augmentation de la vitesse initiale et une diminution de l’énergie spécifique des gaz brulés. Cette solution pourrait être couplée avec celles déjà envisagées sachant, toutefois, qu’elle n’apporterait qu’une amélioration mineure.

 

La solution nouvelle :  

Arrivés à ce point, il convient d’examiner une cinquième solution qui consiste à réduire artificiellement l’énergie spécifique des gaz brulés. Ouvrons une courte parenthèse à propos de la courbe pression/temps telle qu’observée dans un canon manométrique ( N.d.T. : canon de test avec prise de mesure de pression).

Sur une telle courbe, d’aspect plutôt rectiligne, il est possible de repérer le point au-delà duquel la courbe s’inverse : avant ce point, la concavité de la courbe est tournée vers le bas, au-delà, la concavité se tourne vers le haut. Les algorithmes de calcul appropriés permettent d’observer que la pression, à partir de ce point précis, diminue plus qu’elle ne devrait le faire en théorie.

Ceci peut être dû aux déperditions thermiques à travers les parois du canon, mais, comme celles-ci sont régies principalement par les caractéristiques thermo-fluido-dynamiques de l’air ambiant, avec des temps de réponse sensiblement plus longs que le temps de réponse du canon, on peut retenir comme hypothèse que la cause se trouve dans une fuite des gaz brulés entre la bourre et les parois du canon.

Preuve à l’appui, il est possible, avec d’autres algorithmes d’isoler dans la courbe pression/temps, l’évolution dans le temps de l’énergie interne des gaz brulés, énergie croissante jusqu’à un maximum enregistré supérieur au temps de montée en pression, puis décroissant plus ou moins rapidement.

A le différence de la courbe pression/temps, la courbe relative à l’énergie interne présente un caractère irrégulier et fluctuant. Cela peut être interprété comme le symptôme d’une combustion  irrégulière : le syndrome s’avérant d’autant plus évident que le taux de pression s’abaisse. L’explication réside dans le fait que l’étanchéité de la bourre est bien meilleure durant la montée en pression que durant la descente de celle-ci.

En dépit de ce défaut d’étanchéité qui devrait, en théorie, entrainer une dégradation de la vitesse, celle-ci semble peu influencée par le phénomène, comme si les gaz « passés » après la bourre faisaient office de tampon entre la bourre elle-même et l’âme du canon, réduisant les frottements qui s’opposent au mouvement.

On peut ainsi imaginer que, si on réussit à faire en sorte que les gaz brulés s’échappent en partie durant la phase ascendante, on obtiendrait alors une diminution générale de la pression avec, simultanément, la réduction de la vitesse initiale ainsi que la réduction de la pression à la bouche du canon.

Un tel chargement serait non seulement subsonique mais aussi à bas niveau de pression acoustique.

 

Silence, on tire :

C’est dans cette direction qu’un passionné, Pietro Trombetta, a dirigé ses recherches. Après de longues expériences et vérifications, il a réalisé des chargements dont les vitesses subsoniques et les niveaux de pression acoustiques, à 1 mètre de distance,  n’excèdent pas 80 décibels (dB).

A titre de comparaison, les valeurs pour une détonation de pistolet et une détonation de carabine à canon rayé sont, respectivement, de 140 dB et 160 dB ; cette différence de 20 dB ne doit pas induire en erreur. Ces valeurs sont exprimées sur une échelle logarithmique : les pressions acoustiques correspondantes  ressortent respectivement à 200 Pascal et 2000 Pascal, soit un facteur 10. Il s’agit de valeurs qui dépassent largement le seuil de la douleur, seuil subjectif mais dont le niveau moyen est de l’ordre de 100 Pascal, soit 134 dB. Tandis que le niveau de 80 dB correspond à une pression acoustique d’à peine 0,2 Pascal.

Ces résultats ont été obtenus principalement avec de petits calibres, mais ils peuvent être étendus, après adaptations, aux calibres supérieurs et aux chargements à balle.

La clef de voute est l’adoption de poudres, grenaille de plomb, étuis et amorces adéquats. Ceci afin de provoquer une fuite de gaz contrôlée qui, grâce aux dosages particuliers adoptés, réduit considérablement la pression exercée par les gaz brulés tout en la maintenant presque constante tout au long de l’âme afin d’obtenir une vitesse initiale subsonique et des temps de canon plus longs que la normale.

La fuite de gaz, opportunément contrôlée a pour effet de réduire la pression et de ralentir la combustion, augmentant ainsi les temps de canon tout en évitant la détérioration indésirable des vitesses initiales. Celles-ci réussissent à se maintenir sous les 330 mètres/seconde tout en fournissant encore, avec le petit plomb, des vitesses résiduelles suffisantes et des rosaces satisfaisantes jusqu’à 20 mètres.

Par exemple, avec une vitesse initiale de 300 mètres/seconde, un plomb n° 12, soit 1,5 mm de diamètre, conserve à 20 mètres une vitesse résiduelle d’environ 165 mètres/seconde, identique à celle d’un plomb n° 10 (diamètre 1,9 mm) à 25 mètres, valeur suffisante pour assurer la pénétration sur le petit gibier.

L’inconvénient de la fuite de gaz, pour les charges sans conteneur, est évidemment la fusion des plombs. Correctement contrôlée avec adoption de plomb nickelé, le phénomène se ramène, toutefois à des dépôts de plomb dans la seconde moitié de l’âme, sans provoquer la très dangereuse fusion en grappe des plombs.

Les résultats, obtenus avec la collaboration de rechargeurs proches de la résidence du passionné (Pouilles), d’ateliers spécialisés, comme Cortini & Pezzotti qui ont produit les bobines orlatrices adéquates pour permettre de pratiquer des sertissages à faible résistance d’ouverture, ainsi que des amis comme Luigi Chimini de Lonato (Bs) qui s’est occupé de la réalisation des bourres en plastique sur mesure et Marco Cioni de Florence à qui l’on doit le DVD illustrant les caractéristiques des chargements.

Ces résultats, donc, ont été présentés également aux fabricants nationaux : Fiocchi et Cheddite, dans les laboratoires balistiques desquels ont été réalisés des essais comparatifs poussés.

De ces essais, il ressort que les chargements en question, en calibre 36 et 410, avec un grammage de 18 à 28 g de plombs nickelés n° 11, dans des douilles de 50 à 76 mm, se maintiennent en dessous des 700 bars de pression avec une vitesse comprise entre 250 et 300 mètres/seconde et des temps de canon de l’ordre de 3,450 à 3,750 millisecondes. Les niveaux de pression acoustique tournent autour de 60 dB et les rosaces sont extrêmement compactes et meurtrières.

Tout laisse présager que l’optimisation des composants et des dosages aux fins de production industrielle améliorera encore les performances de ces chargements.



23/12/2015
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