Des grives aux merles

Des grives aux merles

Les grives de Gédéon.

21 avril 2020

Confiné à domicile, j'ai tout mon temps pour parcourir le net.

On y découvre parfois de petits trésors, tel ce récit dont j'ignore tout de l'auteur sinon son nom: M. Gaston EMERY et qu'il a un beau talent de conteur.

Je lui adresse le même jour un mail qui restera sans réponse pour cause de mise en quarantaine (COVID)...

Le 3 mai 2020, j'apprends son décès à l'âge de 90 ans.

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20 septembre 2020

Mes recherches m'ont appris beaucoup de choses sur l'auteur. C'était un homme hors du commun, doté d'une forte personnalité et je regrette de ne pas avoir pu entrer en contact avec lui.

Le récit ci dessous fait partie des "Contes du Maillet", publié dans la "Gazette de la Gervanne".

Le livre est introuvable sinon sur la toile. C'est un recueil de souvenirs de l'auteur dont je présente ici quelques passages qui ont trait à la chasse "autrefois" 

 

 RG

 

 

Les grives de Gédéon

 

GEDEON faisait des trappes : une lause dressée avec quatre bouts de bois, au-dessous de laquelle on mettait un « agranu » (appât) constitué par des graines de genièvre bien mûres donc violettes à souhait, un délice irrésistible pour notre volatile à la recherche de pitance lorsque la neige recouvrait la nature. Ces graines restaient visibles parce que la lauze à demi inclinée faisait office de paravent. Alors, en quête de maraude, dame grive se laissait tenter : allez donc penser que là était bien le piège mortel !
La saison débutait après les « tourdres « qui, eux, grappillaient seulement dans les vignes. On ne pouvait guère les prendre à la trappe ; leur chasse restait un sport au fusil mais c'était moins rentable, car une cartouche coûtait des sous et la trappe rien du tout, sauf une attention journalière.
Les « fia-fia » faisaient une première migration en décembre et là, ça commençait. Gédéon avait les meilleurs terrains de la commune, celui que les « fia-fia » colonisaient de préférence. Il rénovait rapidement son substantiel territoire de trappeur et chaque jour partait à la récolte, une « boge » (sac d'engrais en jute) sur le dos ou en écharpe s'il faisait un peu froid pour faire mine de rien.
Les « fia-fia », qui détiennent ce sobriquet du fait que leur jargon est essentiellement « tchia tchia » restaient sur place ou allaient plus loin, mais revenaient en force fin janvier.
Entre temps, une autre grive plus sédentaire, la « paysanne » bien musclée et au long cri de crécelle, aimait à baguenauder dans les parties de champ émergeant du manteau blanc, mais parfois ne dédaignaient pas, elles aussi, un petit condiment de genièvre.

Aux premières lueurs des fins de gros hiver, une petite grive migratrice aux petits appels pointus clôturait la saison. C'était la « quine » toute frêle mais à la chair ô combien délicate, un peu comme son cousin le « tourdre ».
Ainsi Gédéon, aux revenus assez modestes en dehors de son café tenu de main de maîtresse par dame « DEONE », surnom bien facile à définir étant l'épouse de DEON, partait tous les matins, comme un vrai trappeur canadien, arpenter les bois enneigés. Il ne craignait pas la bise, et les microbes, ou les virus comme on dit aujourd'hui, n'essayaient même pas de se frotter à ses bronches, sûrs d'y perdre quelques chose. Maintenant, on a inventé le vaccin et les trois quart du temps, on reste « bien au chaud pour ne rien attraper ! ». A d'autres temps, d'autres mœurs !
Dame Déon faisait ainsi de fabuleuses conserves auxquelles rien ne manquait même pas une chenille malencontreusement aspirée par inadvertance dans un gésier glouton, gésier que l'on ne vidait pas toujours, étant censé récupérer rien d'autre que les graines de genièvre. Qu'à cela ne tienne, la myopie de Déone (mais quand même, soulignons son authentique prénom : en l'occurrence Célestine, dite « Céleste » par son Déon) cette myopie donc, associée à celle de Déon faisait merveille pour occulter de petits détails de si faible importance. Au cours de l'année, dans la salle de café, ils organisaient tous deux des concours de belote avec en entractes une dégustation de grives de conserve, et le participant sur lequel avait échu l'asticot - comme une fève dans la galette des rois - le rangeait stoïquement sur le bord de l'assiette, ou bien pour ne pas guère remarquer une certaine gêne l'avalait tout simplement. Et cela n'a jamais tué personne, bien au contraire ! Surtout qu'un bon et généreux canon de « Clainton » calait le tout là où il fallait.
Chaque semaine, Déon partait à Die, car il était devenu fournisseur attitré d'un grand restaurant, dont le nom ne m'est pas revenu. Si la récolte était bonne, sa « boge » était en partie pleine et heureusement qu'une part importante de plumes venait en alléger le poids, sinon les quelques 20 km de parcours se seraient apparentés à un vrai pèlerinage de pénitents, comme au Moyen Age.
Son manège ne passait pas inaperçu pour tous et certains confrères braconniers, le jalousant, s'en allèrent persifler par-ci par-là des rumeurs pour que cela fasse tinter les oreilles de la maréchaussée. Car on parlait déjà de réprimer le braconnage, et la gendarmerie de Saillans, ne pouvant le prendre sur le fait, s'attaqua aux instruments du délit dont les emplacements furent bien désignés par certains mouchards professionnels.
La suite faisant l'objet d'un autre chapitre sera dévoilée dans une prochaine rubrique, avec si possible un sujet supplémentaire à GEDEON.
Pour l'épilogue de ce petit récit : de nos jours, le braconnage est sévèrement puni, alors qu'il n'y a pratiquement plus rien à braconner. De notre temps, braconnage et chasse régulière faisaient bon ménage, se complétant l'un l'autre. Le gibier abondait. Ne souffrant d'aucune pollution, il se reproduisait à grande cadence, prédateurs et sélections naturelles maintenant l'équilibre. Le Progrès est arrivé avec son cortège d'émancipations de toutes sortes. Si bien que seuls les valeureux corbeaux font encore entendre quelque chose au moins les jours de grande bise où, de concert, elle hurle avec eux la complainte perdue au cours d'un tourbillon dévastateur et irrattrapable.

 

                                                                                                 Gaston EMERY

A suivre...

 


 

Notes: Les récits de M. Emery se déroulent principalement à l'Escoulin, hameau des Maillets, dans la haute vallée de la Gervanne, Drôme. 

 



23/09/2020
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