Des grives aux merles

Des grives aux merles

Les autres modes de chasse traditionnels.


La chasse des grives et des merles à l'affût en Haute Corse.

Les 3 photos ainsi que les commentaires ci-dessous m'ont été aimablement communiqués par un membre de ce blog (Kakouille).

Je dois dire que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire son récit, regarder ses photos et imaginer l'atmosphère de ce mode de chasse. Car, vraiment, à la chasse, ce qui importe le plus, ce sont bien les sentiments que l'on éprouve et les sensations que l'on ressent. Qu'il en soit vivement remercié. 

Je lui laisse maintenant la parole.

RG

 

"...C'est une chasse aux lierres, en un lieu difficile d'accès, connu de quelques initiés, situé en Haute Corse (entre Chisa, Ventiseri et Travu).

...L'étroit chemin originel n'est pas entretenu, et c'est bien comme çà!

On peut même, en cherchant bien, y trouver un vieux pommier et quelques fruits à partir de mi-septembre...

La période la plus favorable est celle où le froid est présent et concentre les oiseaux qui viennent s'alimenter le matin et aussi un peu le soir.

Le mois de février est le plus propice, mais fin décembre et janvier, si les températures sont basses, on peut faire quelques beaux prélèvements...

Le biotope est très humide, du fait de la présence d'eau et du peu de lumière du soleil...

C'est une petite vallée encaissée où coule un ruisseau surplombé par une forêt de chênes, de hêtres et d'arbousiers. Beaucoup d'arbres couchés, de branchages et de ronces. Un gué impossible à franchir sans bottes, au risque de passer la matinée avec les pieds mouillés!!!

Ici pas de poste, le chasseur se dissimule contre le tronc d'un arbre. Pas d'appeaux non plus.

L'armement: calibre 20 semi-auto, cartouches Rio ou BP en plomb de 7,5. Quand les oiseaux sont dans les lierres en haut de la canopée, j'utilise le calibre 16, cartouches SAGA, plomb de 8.

Je suis obligé d'avoir des plombs de cette taille, car avec une taille plus petite, je blesse beaucoup , la taille parfaite étant le numéro 8 que je trouve peu en cal. 20.

 

J'ai peaufiné cette méthode au fur et à mesure des années.Dans les années fastes de grand froid, j'y allais avec la 14 mm !!

En une matinée entre 06 h 00 et 11 h 30, je peux prélever entre 5 à 20 turdidés.

Parfois, le tableau est agrémenté d'un ou plusieurs Geais des Chênes et de quelques  pigeons (assez rare).

C'est une chasse passionnante, car difficile mais pleine de sensations, où le score importe peu...

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... En Corse comme ailleurs, maintenant, la pratique est le tir au vol à la passée du matin et surtout du soir, avec chien pour la récupération. Cette chasse là n'est pas traditionnelle de l'île.

Avant, c'est surtout le tir au posé que pratiquaient nos anciens. J'essaie, modestement, de préserver ce mode de chasse. 

Je rencontre beaucoup de quinquagénaires et surtout d'anciens (60 ans et plus), mais, honnêtement, je rencontre peu de jeunes.

 

 

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22/04/2018
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Chasse de jadis dans les Alpes de Haute Provence, les lecques.

Belle découverte que ce blog: "Corbières - Alpes de Haute Provence ".

Tout entier consacré aux Alpes de Haute Provence en général et au beau village de Corbières en particulier, l'auteur, Christian REMY y aborde des aspects aussi divers et variés que la géographie, l'histoire, la faune, les personnages historiques régionaux, etc... sans oublier une très belle collection de cartes postales anciennes illustrant Corbières sous tous ses aspects.

Pour toutes ces raisons et pour ce qui va suivre, ce blog mérite bien plus qu'un détour.

Je tiens à remercier ici Christian REMY qui m'a aimablement autorisé à publier un extrait d'un article de son blog.

 

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Le texte ci-dessous est tiré  du chapitre 2 consacré à quelques aspects de la vie dans les Alpes de Haute Provence au début du XXe siècle, dont  un article particulièrement intéressant consacré à la chasse et à la pêche.

L'extrait qui suit traite de la chasse à la lecque ou tendelle, mode de chasse aujourd'hui  interdit (il survit encore et à grand peine dans l'Aveyron et en Lozère).

Les auteurs de l'article sont  Lucien et Maryse MOST.

RG

 

 

...La chasse aux grives constituait dans nos régions un fait de société et un appoint de revenus parfois fort important. Il s’agit presque uniquement bien sûr de la chasse à la lecque. La lecque est une pierre plate tenue par quatre bâtonnets en équilibre instable, ce que nous montre la photo.

Les grives, attirées par des grains de genièvre, bousculent les bâtons et restent prisonnières sous la pierre rabattue. La chasse aux lecques, qui ne nécessite aucun investissement sinon de bonnes chaussures pour faire le tour des pièges pourrait remonter au paléolithique. Peut-être un jour la découverte d’une grotte locale, comme à Lascaux, nous livrera une chasse à la grive peinte à l’ocre ou au noir de fumée au milieu de bisons, d’ours ou d’antilopes.

D’après une tradition orale, Louis XIV aurait accordé le privilège de poser des lecques à l’époque d’une grande disette, privilège renouvelé jusqu’au début du siècle où il se transforma en simple tolérance.

Les chasseurs posaient leurs lecques dans des quartiers, parfois loués à la commune au cours d’une adjudication aux enchères.

Nous avons vu dans les villages les quartiers de lecques importants, qui allaient jusqu’à plusieurs milliers de pièges, particulièrement au Lauzet, à Pontis, à Revel, à Auzet et à Barles.

Cette chasse exigeait un permis, que personne ne prenait. Il fallait donc se méfier des gendarmes. Les femmes cachaient les grives dans des poches cousues sous leurs jupes, au milieu des fronces très amples de la taille. Les gendarmes, en effet, ne fouillaient pas sous les jupes des femmes! Malgré la règle d’or exigeant le respect des lecques d’autrui, malgré les cartouches chargées d’ers parties vers quelques postérieurs, les tentations étaient parfois bien fortes. Il fallait donc souvent aller relever les pièges et même un bon marcheur n’en visitait pas plus de trois à quatre cents par jour.

Les anciens nous ont tous raconté les pleins sacs portés au Lauzet chez MM. Brun, Tron ou Bosse, à Barles chez Milon Faure, à Verdaches chez Angelin Reynier, et bien d’autres qui les expédiaient sur Marseille.

Vendues suivant la saison entre deux et cinq francs, elles nourrissaient parfois une famille, permettaient d’acheter un cheval ou un mulet et payaient tout le superflu. Les grives figuraient à l’affiche de tous les restaurants locaux et au menu des jours de fête des familles de la région. Nous ne résistons pas au plaisir d’indiquer notre recette.

Les grives sont évidemment des siffleuses au genièvre étouffées sous la lecque et non tuées au plomb. Vos grives plumées et flambées, bardez-les non vidées et introduisez à l’intérieur une brindille de thym, éventuellement un ou deux grains de genièvre si vous n’avez trouvé que des chachas ou des césaires. Faites-les rissoler dans une cocotte pendant 10 à 15 minutes avec deux gousses d’ail non épluchées. Assaisonnez. Dressez-les ensuite sur des tranches de pain légèrement rôties imbibées du restant de cuisson et en étalant sur le pain l’intérieur de la grive. Normalement, vous ne laisserez que les pattes et le bec!

Dans la région d’Auzet et Barles, on nous a parlé de grives prises au piège métallique à ressort, accroché par une ficelle dans les viornes ou les genévriers. Un chasseur nous a même dit qu’après un passage important vers Auzet, les grives prises aux pièges étaient tellement nombreuses qu‘ils allaient les cueillir aux arbres comme les prunes à un prunier.

Le même grand chasseur de grives avait posé quelques pièges à ressort près de la route du Fanget et il voulait les relever malgré une foulure au pied qui lui faisait porter béquilles. Empêtré dans la neige profonde, il n’entendit pas arriver la patrouille des gendarmes. Ceux-ci, obligeamment, firent le tour de ses pièges, moyennant la moitié des grives ramassées, pour fêter dignement l’anniversaire du brigadier.

Depuis le début du siècle, une règle internationale prohibait la chasse à la lecque, qui était toutefois tolérée dans nos contrées, grâce à une action virulente des élus bas-alpins. Depuis 1983, la réglementation européenne a fait son œuvre : les pièges sont interdits. Quelques anciens annoncent donc des jours sombres pour la jeunesse, qui n’ayant plus l’aiguillon des lecques pour courir la montagne, s’avachit désœuvrée dans les bars, en attendant bien pire! Nous livrons ce bon argument à nos hommes politiques, pour qu’ils exigent le retour au régime de tolérance. Si d’aventure au cours d’une balade vous trouvez quelques pierres plates en équilibre instable sur quatre bâtonnets, ça ne peut en aucun cas être des pièges à grives puisqu’ils sont prohibés… Mais repassez tout de même par hasard une ou deux heures après, car on ne sait jamais.

 

 

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Sources:

Le blog: https://christianremycorbieres.wordpress.com/

L'article:  https://christianremycorbieres.wordpress.com/category/les-alpes-de-haute-provence/


24/08/2016
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P. Chauveau-Beaubaton: la tenderie aux grives en Ardenne française.

Petite trouvaille sur le net à propos d'un mode de chasse traditionnel aujourd'hui bien menacé par la bien-pensance écolo-bobo.

RG 

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La tenderie aux grives est une méthode de chasse, traditionnelle et ancestrale, issue du patrimoine Ardennais. Je me souviens y avoir été initié par mon cher Camille Depaix, au cours d’une promenade dans les forêts qui bordent les boucles de Meuse, entre le barrage de l’Uf à Fumay et le Moulin Labotte à Haybes.
La grive est attirée par une petite grappe de sorbier, maintenue dans l’entaille basse qui se trouve sur l’arceau d’une baguette de noisetier plantée dans l’écorce d’arbres ou d’arbustes via un fer à tendre. Dans l’entaille haute de l’arceau, vient se fixer le lacet de crin de cheval à nœud coulissant, on appelle ce piège « la ployette », en patois, et il est fixé à une hauteur pratique qui permet de ne pas travailler avec les bras en l’air ou en bas. La grive vient se poser sur la partie inférieure et se penche pour aller avaler les grains de sorbier, tout en passant tête et cou dans le crin de cheval, puis au moment de s’envoler la grive est prise au piège et s’étrangle rapidement dans le nœud qui coulisse sur son petit cou.
Cette méthode de chasse silencieuse, pratiquée par des tendeurs, fait l’objet de nombreux dénigrements tant de la part des défenseurs de la nature, que des chasseurs armés de fusils, et pourtant l’autorisation annuelle s’étend sur une période très courte, qui va de début octobre à fin novembre. Ce sont bien souvent les gens peu fortunés qui pratiquent la tenderie, non pas pour satisfaire des instincts criminels, mais simplement pour manger un peu de viande qui fait souvent défaut dans l’alimentation du quotidien.
Aujourd’hui, dans cette région de France atteinte par un taux de chômage incroyable, les grives représentent un petit plus saisonnier dans la triste assiette de nos amis Ardennais.
Cette méthode de chasse ne coûte rien, n’est pas dangereuse pour les promeneurs ou les chasseurs de champignons des bois et ne pollue pas. La grive sert à flatter les palais délicats de certains gastronomes en mal d’authenticité, tout en nourrissant d’autres bouches plus affamées.
Il est interdit de faire le commerce du produit de sa chasse et les grives ne se dégustent qu’en famille ou avec des amis. Je me suis laissé dire qu’autrefois le Préfet et le Procureur des Ardennes, qui sont sûrement d’aussi fins gourmets que moi, se laissaient tenter une fois l’an en dégustant ces grives, dans une invitation privée, sur le plateau d’Hargnies, chez une amie commune qui cuisine divinement à l’ancienne, de bons petits plats de cette riche cuisine ardennaise pleine de saveurs généreuses du terroir.
La tenderie aux grives n’est pas plus cruelle que de tirer sur une biche ou un chevreuil qui vous regardent épauler le fusil. C’est une chasse qui fait partie intégrante du patrimoine Ardennais et de l’attachement à cette terre pleine de traditions.
La grive est un met délicat et délicieux qui se partage dans la convivialité, à côté d’un feu à l’âtre crépitant en même temps que rassurant. C’est un plaisir simple que de déguster des grives. Mon odorat se souvient encore de ce bon fumet qui embaumait la maison de ma très chère Raymonde Henry, fin cordon bleu qui savait tellement bien m’accueillir.
Raymonde bardait les grives de lard gras, beurrait sa cocotte en fonte avant de déposer quelques tranches de lard maigre au fond, comme pour servir de lit aux grives qui mijotaient doucement durant une petite heure. Après une belle coloration, Raymonde ajoutait le sel, le poivre, les feuilles de sauge et un peu de genièvre. Le plat était accompagné de pommes de terre appelées « conne di gatte » en Ardennais, ce qui signifie « cornes de chèvres ». Ces pommes de terre recourbées et à chair ferme étaient cuites à l’eau avant d’être arrosées généreusement du jus et des sucs de cuisson des grives… une pure merveille qui valaient certainement les ortolans dégustés par le Président François Mitterrand, dans un savant cérémonial qui consistait à se recouvrir le visage d’une serviette de table pour ne rien laisser échapper des subtiles saveurs.

 

12/12/2008

 

Publié par: Philippe CHAUVEAU-BEAUBATON (*) in "Le Mague" 

 http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5571

 

* Qui est P.C-B ? Selon sa propre définition:

"Chroniqueur libre et indépendant, mais pas dupe sur la définition du mot liberté. Je suis un paresseux pathologique, n'acceptant pas les critères de performance imposés par notre Société. Rebelle qui respecte sa vraie nature, en se laissant vivre parfois dans le rêve."

"J'écris ce que je pense, que cela plaise ou pas, c'est ma liberté d'expression et elle n'engage que moi !"

 

 

Tenderie.jpg

une "ployette"

 

 


16/07/2020
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La tenderie aux grives en Belgique, région spadoise.

Petite trouvaille sur le net, cet article de Jean Lecampinaire, publié dans le mensuel belge Réalités, mensuel de Spa et de sa région. (http://www.sparealites.be/)

Article reproduit ici in-extenso avec l’aimable autorisation de M. Eric PALLA.

RG

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Alors qu’elle est interdite en Belgique depuis les années soixante (1967-1968), la tenderie aux grives est encore pratiquée de nos jours dans le nord des Ardennes françaises (le long de la frontière belge), au moment de la migration, de la mi-septembre jusqu’à la mi-novembre.

Cette tradition existait dans les Ardennes belges depuis des siècles, elle daterait même de l’époque préhistorique, plus précisément de l’époque de l’âge du renne. Des archéologues ont en effet trouvé des ossements de grives dans des grottes proches de Dinant. Nos lointains ancêtres en consommaient donc. Les Romains, eux, pratiquaient l’élevage des grives dans de grandes volières.

C’est, semble-t-il, au Moyen Age que dans notre région le droit de tenderie est accordé aux « manants ». Il fait partie des droits d’usage qui leur ont été octroyés par le prince-évêque de Liège. Il faut savoir que du Moyen Age jusqu’à la fin du 19e siècle, la forêt sera souvent pour nos aïeuls le complément nécessaire du champ et du pré. Ils y cultivent après l’essartage, ils y coupent leur bois de chauffage, ils y trouvent les matériaux nécessaires à la construction de leur maison, leur bétail y trouve sa nourriture sous la garde d’un « herdier ».

Dans nos campagnes, la tenderie aux grives a été pratique courante jusqu’en 1967-1968 ; elle se transmettait de génération en génération et était dénommée la chasse du pauvre. Les espèces concernées par ce mode de capture étaient : la grive musicienne, la grive mauvis, la grive litorne, la grive draine et le merle noir.

Cruel pour certains, traditionnel pour d’autres, ce mode de « chasse », qui consistait à capturer le volatile au moyen de collets (lacets) faits en crin de cheval, se pratiquait de deux manières : à la branche ou à terre (méthode interdite en Belgique dès 1929). Alors que le piège à terre ne nécessitait aucun appât, le piège à la branche (la pliette et son lacet représentée en fin d’article) était amorcé avec des baies de sorbier (sorbes) dont les grives sont friandes.

Entre les deux guerres, la tenderie aux grives fut réglementée car elle se pratiquait de plus en plus à des fins commerciales. En effet, les grives capturées partaient pour les grandes villes et se retrouvaient dans les assiettes des meilleures tables verviétoises, liégeoises et même bruxelloises. A Spa, elles étaient vendues chez Oscar Heinen (magasin de gibier). Dès les années trente, chaque citoyen fut donc en droit d’acheter un permis de tenderie valable un an, comme il en est de même aujourd’hui pour la pêche. Ci-après, le permis de tenderie aux grives délivré au Creppelain Ferdinand Joseph Dohogne.

 

 Permis tenderie 1.jpg   Permis tenderie 2.jpg

 

 

Creppe, la tenderie aux grives se pratiquait dans les bois de Mambaye et de Lébioles. Parmi les tendeurs, on peut citer : Ferdinand Joseph Dohogne, Ivan Pottier, …

Nivezé, elle s’effectuait dans les futaies des Basses-Nivezé ou encore dans le bois du Hatrai. Emile Jérôme et Octave Goblet étaient des fervents défenseurs de cette pratique ancestrale.

Winamplanche, c’est le long du ruisseau de l’Eau Rouge dans la vallée de Tolifaz et dans le bois de Vequeterre, situé entre Creppe et Winamplanche, qu’Henri Starck, Louis Goffin et Albert Goffin posaient leurs lacets.

Desnié, Raymond Schmitz tendait dans le bois de Fagne Maron et Lucien Leroy plaçait ses pièges au Vieux Pazé.

Sart-lez-Spa, les tendeurs portaient leurs grives chez Marcel Pauly. Elles étaient ensuite amenées à la gare du village pour partir le lendemain au premier train. Quelquefois, plusieurs centaines de grives étaient ainsi expédiées à la capitale.

Le principe du piège était simple : la grive venait sur le perchoir de la pliette, passait son cou dans le nœud coulant du lacet pour atteindre les baies de sorbier et se pendait en prenant son envol.

Jean Lecampinaire

 

Sources : La tenderie aux grives (Jean Jamin – 1979 – CNRS Paris)
Les gestes oubliés (Nos r’prindans rècène – Comité culturel de Jalhay/Sart) Messieurs Raymond Goffin, Georges Ledoyen, Raymond Schmitz, Jacquy Dohogne, Paul Gernay, André Pottier, Jean Jérôme et Joseph Laurent

http://www.sparealites.be/la-tenderie-aux-grives-en-region-spadoise


15/12/2016
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La tenderie aux grives dans les Ardennes.

Mode de chasse traditionnel et ancestral, la tenderie aux grives est spécifique au département des Ardennes et plus précisément, à certaines communes du nord de ce département.

Strictement encadrée et contrôlée, cette chasse met en oeuvre des savoirs locaux qui font la richesse de notre patrimoine cynégétique.

 

Je tiens, avant tout, à remercier ici la mairie de Thilay (Ardennes) qui m'a aimablement autorisé à reproduire, in extenso, l'excellent article intitulé " Une tradition locale: La tenderie aux grives " paru dans son Bulletin Municipal n° 14 de Décembre 1996 ( http://www.thilay.fr/page/139/tenderie.html ).

 

RG

 

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  La tenderie aux grives est une chasse traditionnelle qui se pratique sans fusil. Elle s'exerce essentiellement au nord des Ardennes, au moment de la migration des grives, de septembre à novembre.

L'entretien d'une tenderie est un travail important, mais la passion du tendeur lui fait oublier sa fatigue.

 

"- Vous êtes des sauvages ! hurla-t-elle. Tout est sacrifié à votre coutume. Même une fois, une fois seulement, vous n'y feriez pas exception. C'est horrible, abominable.

- Les grivières connaissent trop d'ennemis ! murmura-t-il."

Jean Rogissart, Passantes d'Octobre.

 

Le présent article n'a pas pour but de soulever une polémique entre les partisans et les opposants à cette technique de chasse ; il vise simplement à décrire une tradition purement ardennaise qui existe depuis des siècles.

 

Relief et climat :

 

Le plateau de l'Ardenne est situé sur l'axe de migration des grives (nord-est, sud-ouest). Son altitude, de 300 à 500 mètres, et l'orientation générale du relief (nord-ouest, sud-est) réalisent une barrière naturelle envers les vagues de migrations.

Les conditions météorologiques automnales de la région (brouillard, pluie, ciel couvert, températures fraîches ...) agissent en dissimulant les repères topographiques et astronomiques qui semblent permettre l'orientation des migrations et contraignent les grives à séjourner quelque temps dans les taillis.

Quatre espèces de grives et une espèce de merle sont les gibiers des tenderies :

- la grive draine

- la grive musicienne ("blanche" ou "grive de pays")

- la grive mauvis (roussette)

- la grive litorne (tcha-tcha)

- le merle noir (appelé grive des "hayes"). 

 

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Alimentation :

 

Le régime alimentaire des grives est très varié. Il comporte de nombreuses baies et fruits (houx, aubépine, gui, sorbier, if, genévrier, sureau, ronce, cornouillier, lierre, troène, prunelles, pommes ...). Mais les grives ne sont pas pour autant uniquement baccivores et fructivores : elles s'accommodent aussi de vers, de limaces, d'escargots (dont elles brisent les coquilles sur des pierres plates appelées enclumes), d'araignées, d'insectes et de larves.

A la vérité, c'est surtout pendant l'été que leur régime est essentiellement d'origine animale ; l'hiver, il est en revanche à base de baies et de fruits.

 

Migrations :

 

La migration est une véritable adaptation au milieu et à ses fluctuations. Elle conduit les oiseaux à aller chercher au loin ce qui fait défaut à une certaine époque et en certains lieux.

C'est un déplacement régulier, cyclique entre deux zones : l'aire de reproduction et l'aire d'hivernage.

 

 

LA TECHNIQUE DE LA TENDERIE :

 

• LE SORBIER

 

Appelé localement "branzière", c'est un arbre de la famille des Rosacées.

Le sorbier des oiseleurs est une variété de sorbier. Ses fruits sont d'un rouge corail. On le rencontre abondamment en Ardenne. Les fruits (ou sorbes) sont utilisés comme appâts pour amorcer les pliettes ou pièges à l'arbre.

Autrefois, les sorbiers étaient évalués en bottées.

 Tenderie_2.jpg

 

 Hotte à sorbes (boutons) pouvant contenir 10 à 12 kg de baies

 

 

LES LACS

 

La tenderie se pratique en automne, à l'époque où les grives ont entamé leur migration.

Le dispositif essentiel de capture est le lacs (on prononce lasse). C'est un collet en crin de cheval qui est "tendu à la branche" ou "à terre". Son mécanisme consiste en un nœud coulant ayant charge de strangulation.

Le lacs ou lacet est un collet en crin de cheval hongre ou étalon.

Le crin de jument, altéré par l'urine, a mauvaise réputation.

Le lacs est confectionné par l'assemblage de deux crins de 30 centimètres de longueur.

Ces deux crins sont juxtaposés, dégraissés à l'eau tiède, noués en leurs milieux puis roulés entre le pouce et l'index enduits de cendre de bois ou de cigarette (pour mieux glisser sur le lacs) afin de former une torsade de quatre brins arrêtés par un double nœud. Au moment de la pose, l'extrémité nouée est enfilée dans la boucle ( "œil" ou "lumière du lacs") aménagée à la pliure de la torsade.

A Revin, vers 1966, les 90 grammes coûtaient 10,80 F (2,15 € actuels), soit 120 F le Kilo (23,85 € actuels). 100 grammes de crins permettent la fabrication d'environ 5 à 600 lacs.

 

• LE FER A TENDRE :

 

C'est un instrument de fabrication artisanale. Fondé sur le principe du levier, il fait pénétrer un ergot coupant dans la périphérie du support et le traverse.

Le fer à tendre se compose d'un fer et d'un manche en bois naturel ou en bois de cerf.

Son extrémité, courbée, est arrondie en un étrier. La lame ou ergot est soudée ou rivetée au corps. De fabrication artisanale, chaque fer a son individualité.

 

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  Des fers de toute beauté.

 

Il existe trois types de fers à tendre (ou fers à lacets).

Dans le type "vallée de la Semoy", le corps est légèrement incurvé afin d'éviter que la main ne vienne heurter l'écorce au moment du fendage.

Pour cette même raison, dans la vallée de la Meuse, le manche du fer est déporté par rapport à l'axe du corps (les tendeurs de la vallée de la Meuse arguant de leurs connaissances métallurgiques plus développées que celles de leurs voisins pour expliquer cette petite différence de conception).

Notons l'existence d'un fer à tendre particulier d'origine belge (ce n'est pas un gag ...), dans lequel la lame est dans le prolongement du corps, l'étrier parallèle au plan de ce dernier. Il nécessite une force d'action verticale.

 

- LA TENDERIE A LA BRANCHE :

 

La tenderie à la branche est aménagée tout au long d'un sentier sinueux, tracé dans le taillis, appelé "trait de grivière" ou "voyette".

Dans le tronc des jeunes arbres qui bordent la voyette, le tendeur (griveux ou griveleux) va, à l'aide de son fer, fixer les pliettes. La pliette (ployette, plierette ou ploperette) est une petite branche d'une longueur variant de 30 à 40 cm, de la grosseur d'un fort crayon. Elle est taillée en biseau à ses deux extrémités et fixée au support grâce à deux incisions faites au fer à tendre.

La pose des pliettes et tout particulièrement des lacets est une opération minutieuse qui relève de l'art. Elle nécessite une bonne vue et une dextérité d'horloger alliées à une grande rapidité d'exécution.

 

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• LA TENDERIE A TERRE : Les "Hayettes"

 

Le piège à terre ne nécessite ni un outillage, ni un temps de pose comparable à celui du piège à l'arbre. Il est préparé après fauchage et nettoyage du trait de grivière.

Tous les 6 pas, à environ 4,50 m d'intervalle, le sentier est barré à l'aide de deux rameaux feuillus et droits (il s'agit le plus souvent de noisetier ou de charme) que l'on pique solidement en terre sur un axe perpendiculaire à celui de la voyette et en son milieu.

Ce type de piège est connu sous le nom de musco dans la vallée de la Semoy, de mousettes en Ardenne belge.

L'oiseau, cheminant à terre, ne pourra s'engager que par l'ouverture centrale ménagée entre les deux rameaux.

 

 

SUR LES PAS DU TENDEUR :

 

Divers éléments semblent intervenir pour favoriser l'abondance des captures.

Les coupes de 6 à 15 ans sont connues pour être les meilleurs lots. Les versants exposés au nord et au nord-est présentent de meilleures conditions que les versants exposés au sud et à l'ouest. De plus, les grives "prennent" généralement mieux "sur les hauteurs qu'en bas".

Les endroits où l'on avait autrefois coutume de fumer le charbon de bois et que les gens du pays appellent "aires di faut", ainsi que les places encombrées de ronces sont autant d'éléments attractifs pour les grives.

Tout bien considéré, pour le tendeur, c'est la ruse, la finesse du tracé, l'habileté à confectionner les pièges et à poser les lacs qui, plus que la situation géographique, sauront garantir le "rendement" de la tenderie.

Les installations techniques des grivières sont permanentes et chaque année, les tendeurs procèdent à leur révision et à leur entretien.

Cela représente de nombreuses heures de travail passées aussi à la réparation des dommages causés par le gibier (chevreuils, cerfs, sangliers) et les méfaits du temps.

Lorsque tout est prêt, le tendeur abandonne ses pièges, non pas à la grâce de Dieu, mais au hasard et aux surprises du vol des oiseaux.

 

 Le parcours de la grivière : la relève des captures

 

Pendant la durée des tenderies, la grivière est visitée chaque jour, de préférence le matin. C'est en effet à l'aube, lorsqu'elles sont en quête de nourriture, que les grives "prennent". S'il ne veut pas les abandonner à quelque prédateur, le tendeur doit les relever rapidement.

Ainsi, chaque jour, le tendeur emprunte le trait de grivière qui, après maints détours dans la forêt, le ramènera quelques heures plus tard à son point de départ.

Dans la région, on dit : "courir la tenderie" ou "rebattre la tenderie".

Le tendeur prend soin de se munir de son "bodet" qu'il porte en bandoulière. Il s'agit d'un panier en éclisses de coudrier partagé en deux cases : l'un reçoit les grives, et l'autre contient les baies de sorbiers pour le réamorçage des pièges.

 

 Le cahier du tendeur

 

Chaque jour, les captures sont soigneusement consignées dans un cahier. Les cahiers de tendeurs sont riches d'informations. Méthodiques et méticuleux, certains inscrivent, en regard des jours, les conditions météorologiques (ciel, vent, température) et les phases des cycles de lunaison.

Tenu au jour le jour, ce carnet doit pouvoir être présenté à tout instant sur les lieux de la grivière, ainsi que l'autorisation préfectorale et le permis de chasse.

Durée légale de la tenderie : du 15 septembre au 1er novembre, avec des crins de 30 cm maximum au nombre de deux par lacs, dans des bois supérieurs à 20 hectares.

 

 

LA TENDERIE EN CHIFFRES

 

Le nombre des tendeurs - hommes et femmes - dans les Ardennes a été très variable au fil des décennies : 100 tendeurs en 1900 ; 179 en 1978 avec une "pointe" de 285 en 1929 (influence de la crise et des problèmes de nourriture ?). Aucun tendeur n'a été recensé entre 1939 et 1945. La tenderie a été en effet interdite en 1939 par les autorités françaises, puis pendant l'occupation par les autorités ... allemandes.

 

                           EVOLUTION DU NOMBRE DES TENDEURS A THILAY EN 40 ANS

1931

1936

1946

1950

1954

1958

1962

1965

1968

1971

5

4

2

1

-

1

3

2

2

1

 

• Le prix des grives :

 

De tous temps, la grive a été un gibier fort prisé et assez onéreux. Les Romains pratiquaient l'élevage des grives en grandes volières. Elles coûtaient à l'époque trois deniers pièce, soit environ 2,75 F de 1912, date à laquelle on les trouvait à 0,50 F ou 0,75 F.

Sous le Second Empire à Monthermé, il fallait débourser 10 centimes pour obtenir une grive.

En 1965, la grive se vendait en Ardenne environ 2 F pièce ( 2,63 €). En 1971, environ 2,30 F (2,32 €) et vers 1980, huit à dix francs (3,33 à 4,16 €).

 

• Les charges d'exploitation :

 

II convient de faire figurer les frais suivants :

- la location annuelle du lot de tenderie

- l'enregistrement

- l'acquisition d'un permis de chasse

- l'acquisition d'une police d'assurance

- l'achat des baies de sorbier

- l'achat des crins de cheval.

Selon les statistiques opérées sur une période de 10 ans vers 1980, le nombre moyen de captures pour 1 000 lacs est de 110 grives ou merles.

 

DE L'ORIGINE DES TENDERIES :

 

Les grives ont fréquenté la vallée de la Meuse à des époques très reculées. E. DUPONT, dans les grottes voisines de Dinant, a trouvé des restes datant de l'âge du renne. Dans le Trou du Frontal, près de Furfooz, il a pu recueillir les ossements de 6 draines, 4 mauvis, 3 musiciennes et 3 litornes. Ceci prouve que nos ancêtres, il y a quelques millénaires, savaient déjà tuer ou capturer ces oiseaux comestibles.

C'est à l'époque des XIIIe et XIVe siècles que date la tolérance des tenderies. "Elles sont accordées comme une aumône, comme une obole, aux "manants" des forêts qui meurent de faim et qui seraient trop tentés de se procurer, par le braconnage, la viande qu'ils envient, un peu de la même façon qu'on leur accorde ailleurs le droit de glaner les épis tombés pour qu'ils ne volent pas les gerbes". Quelle aubaine pour ces pauvres diables que les"Passantes d'Octobre" comme les appelle fort justement Jean ROGISSART dans son roman !

Les tendeurs d'aujourd'hui perpétuent un usage vieux de plus de sept siècles. Ils se limitent à quelques centaines de lacs, alors que les plus grosses tenderies des environs d'Hargnies en comptaient jadis plusieurs milliers.

Cette tradition, non lucrative si l'on tient compte des charges d'exploitation et du grand nombre d'heures passées, s'est transmise de génération en génération.

Actuellement, 4 tendeurs "subsistent" à Thilay, 10 à Hautes-Rivières, 16 à Monthermé et 1 à Deville.

La réglementation en vigueur cette année est la suivante :

"Les personnes n'ayant jamais tendu ou ayant interrompu cette activité pendant une ou plusieurs années auront la possibilité de solliciter une autorisation en préfecture. Leur demande sera enregistrée sur une liste d'attente et sera satisfaite dans la limite :

- des communes "à tenderie" dûment répertoriées dans l'arrêté ministériel du 17 août 1989 (cf dernières pages du carnet de prélèvement)

- du quota départemental (20 000 grives pour l'ensemble du département). Les autorisations seront délivrées en fonction de l'ordre d'arrivée des demandes.

Lorsque le quota départemental (20 000 grives) sera atteint, les demandes en attente ne pourront être prises en compte que lorsque des tendeurs abandonneront leur activité.

Dans le cas d'une autorisation accordée à un nouveau tendeur, le quota sera limité à 50 grives".

La tenderie aux grives, technique de piégeage qui se pratique exclusivement sur le plateau ardennais, constitue l'une des nombreuses facettes insolites de notre pays.

Les lacs de crin et les "ployettes" nous mènent bien loin en arrière. Les tendeurs eux-mêmes ont la conviction de se rattacher par là à un passé. Le privilège de la tenderie lié à l'histoire conforte ce sentiment, sentiment partagé par tous les passionnés habités par la "fièvre des bois".

 

 

Documentation :

 

- "Images de la Semoy avant la grande guerre" (Jean CLERC - Editions Terres Ardennaises).

-  "La tenderie aux grives chez les ardennais du plateau" (Jean JAMIN - Institut d'Ethnologie 1979).

-  "La tenderie aux grives dans les Ardennes" (R. GOFFETTE - Thèse pour le doctorat vétérinaire - 1983).

- Matériel et témoignages obtenus auprès de tendeurs locaux.

--<>--

 

Nota: la conversion francs-euros (en bleu dans le texte) a été faite à l'aide du convertisseur de l'INSEE.

http://www.insee.fr/fr/service/reviser/calcul-pouvoir-achat.asp?sommeDepart=2%2C30&deviseDepart=Franc&anneeDepart=1971&deviseArrivee=Euro&anneeArrivee=2015


14/06/2016
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