La bibliothèque de l'amateur de grives.
BIBLIOTHÈQUE ET ANTHOLOGIE DU CHASSEUR DE GRIVES ET DE MERLES (Préliminaires)
Voilà un bon moment que je caressais le projet de constituer une bibliothèque ainsi qu'une petite anthologie consacrée aux grives, aux merles, et à leur divers modes de chasse.
Les courts extraits que je présente ici observent les textes de loi quant au respect des droits d'auteur, tant moraux que patrimoniaux.
Ce ne sont que des extraits et ils sont une incitation à la lecture des livres dont ils sont tirés.
(Sources : ma bibliothèque-chasse personnelle, mes recherches sur le net.)
RG
Chasses à la grive autrefois dans le bas Bugey.
Bon, c'est un fait, ce texte est particulièrement long comme me l'a fait remarquer mon aimable co-lectrice !
On dira que le style est "daté" (XIXe siècle) ... Et encore, j'ai épargné le lecteur en supprimant les très très longs hors sujets qui mis bout à bout doublent la longueur du texte.
Tel quel, il présente un intérêt documentaire certain sur les pratiques de chasse traditionnelles dans l'Ain dans les années 1800.
RG
Si la poursuite du gibier a ses charmes, l’attente immobile ne manque pas non plus de douceurs. La pipée a ses fanatiques, l'affût ses martyrs, le miroir ses amateurs, surtout quand de jeunes dames viennent en souriant s'asseoir sur un coussin et consentent à tirer la ficelle; la traînasse, la tomberelle et la longue série des filets auraient leurs sectateurs si l'autorité ne veillait pas, et si le garde n'était pas chargé d'apprendre aux profanes que la chasse est simplement une distraction et un plaisir et non une spéculation et un ravage.
Tous les filets, cependant, ne sont pas défendus. On les emploie à prendre les pigeons dans les Pyrénées, on les autorise dans certains pays, pour la grive et la bécasse.
Cette dernière chasse est populaire dans le département de l’Ain ; il n’est pas de vigneron qui n'ait sa pantière; beaucoup de fils de famille qui chassent au fusil dans la journée, s'empressent, le soir avant la tombée de la nuit, ou une heure ou deux avant l'aurore, de charger leur sac sur le dos et de gagner la montagne où leur poste est préparé.
Pendant les longues soirées d'hiver, quand la neige tombait, quand le vent sifflait et que la famille assemblée travaillait autour du feu, on a raccommodé et mis en état toutes les mailles de la pantière. Voilà l’automne, les raisins sont mûrs, les grives arrivent: c'est le moment de s'établir.
On choisit à bord de bois, dans un sentier, une clairière, non loin des vignes, un endroit propice, ni trop vide ni trop ombragé. On plante, à cent pieds de distance, deux hautes et fortes bigues ou perches dont le haut est fourchu ; parfois, on se sert d'une forte branche dépouillée faisant crochet à un arbre élevé; l'essentiel est que le support soit solide et que la corde glisse rapidement dans la fourchette qui sert à hisser le filet.
Une perche longue, légère et fourchue sert à élever le cordeau et à le passer à la fourchette Immobile.
On tire sur la corde, et le filet monte lentement jusqu'à la hauteur de la bigue ou de l'arbre qui sert de premier support.
On attache, par un nœud simple et facile à défaire, la corde à hauteur d'appui et l'on court à la seconde bigue faire la même opération.
Le filet est tendu ; une haute muraille verte dont le tissu se confond avec le feuillage, sépare la partie du bois où l’oiseau a dormi de la vigne où il va prendre son repas matinal.
On jette sur le sol un dernier coup d'œil; on coupe les branches qui pourraient gêner ou déchirer le filet, on aplanit les herbes de la clairière, on nettoie, on est inquiet, on revient. La forêt tout entière murmure, les chasseurs occupent tous les passages ; il y a là, de distance en distance, toute la jeunesse du village; l’un emprunte une serpette, l’autre a égaré sa perche, un autre a cassé sa cheville ; puis chacun se range debout et attentif au pied de sa bigue; un immense silence se fait, on croirait être dans une forêt vierge, dans un monde vide et désert; on attend.
Chaque chasseur tient sa corde dans sa main, l’oeil fixé vers la sortie du bois, à la hauteur de la pantière. Le cœur bat d'espérance, les rêves les plus roses éclosent et s'épanouissent : on pense que les grives vont être abondantes et pressées, que, pour descendre, une bécasse pourrait bien choisir ce passage; qu'une compagnie de perdrix est dans le canton et que rien ne l’empêcherait de venir se jeter toute entière dans le filet. Quelle nouvelle dans le pays!
Quelle aubaine ! quel triomphe pour le chasseur !
Nous avons fait cette chasse, sur les collines qui bordent la rivière d’Ain et nous avons rarement éprouvé de moment plus délicieux que celui qui précédait le réveil du gibier.
Les dernières heures de la nuit s'écoulaient ainsi. Puis les étoiles pâlissaient ; la nuit devenait d'un bleu doux et tendre, l'air fraîchissait ; sous ce souffle imperceptible du matin, les habits devenaient plus légers. Alors, l'attention redoublait; la chasse allait commencer.
Le premier être qui s'agitait dans le silence des bois était le faux-bourdon (1). Son grondement ailé, le bruissement rapide et continu de ses ailes, ce bourdonnement sonore qui lui a fait donner son nom était le premier signal du réveil de la forêt Le faux-bourdon, désireux de déjeuner, quittait son arbre et volait sans idée bien fixe et bien arrêtée; arrivé devant les mailles du filet, il trouvait un obstacle inconnu, insolite qui l'inquiétait et piquait sa curiosité ; il passait et repassait à travers les fils invisibles, en haut et en bas, à droite, à gauche, étudiait ce mystère qui dépassait les bornes de son intelligence, puis donnant sa langue au chat, s'éloignait sans avoir compris ce que pouvaient être ces fils tendus sur son passage et dont ses amis ne lui avaient jamais parlé.
Le second par ordre, le second aussi par la taille et la curiosité, était le roitelet, qui passait fier et gai, l’estomac vide et déjà joyeux et de bonne humeur !
Aussi pour lui, ces mailles étaient un problème; les fils verts échappaient à sa vue; il les heurtait de l'aile, mais ils ne l’empêchaient pas de traverser. Inquiet, vivement intrigué, il allait, venait, revenait, se faisait un jeu de passer et de repasser à travers les mailles; puis l’appétit parlant plus haut, le roitelet partait à son tour laissant ce mystère incompris.
Après le roitelet, venait le rouge -gorge. Courageux, hardi, confiant, le rouge-gorge se heurtait, revenait se frottait aux mailles en faisant entendre un petit cri de méfiance et d'étonnement. Rien n'est gracieux comme l'éclat métallique de son chant; ce jeu répété plusieurs fois, le rouge-gorge fuyait, aussi curieux, aussi ignorant du mystère que ses devanciers.
Voilà que dans la forêt éclate la trompette du merle. Il se réveille, moqueur et sauvage; il fait claquer son bec et s'avance, non en volant comme un étourdi, mais en sautant de branche en branche, écoutant, éclairant sa route, sondant le terrain et se méfiant de tous les dangers.
Voilà le merle ; le silence est plus profond encore, le gibier est rusé; toutes les respirations s'arrêtent, tous les mouvements sont suspendus.
Il s'approche en zigzag, et son cri moqueur indique le scepticisme et l'égoïsme de son esprit; son œil plonge au loin, il écoute, il raille, il se moque ; il va déjeuner, là-bas, dans la vigne, avec des vers et du raisin ; il se réjouit, mais ne se presse pas; les bois sont si peu sûrs; mais bien fin qui le surprendra. Il s'approche, fait un saut, tressaille et s'arrête. Tout son être est immobile; sa prodigieuse sensibilité l'a prévenu, le fluide magnétique du filet vert lui a envoyé ses effluves, quel est ce danger qu'il soupçonne, qui l'effraye et qu'il ne connait pas ?
Il saute en arrière, rien; il saute en avant et frémit. Il monte au sommet des taillis, le danger existe encore. Il saute à droite, il saute à gauche, partout l’effluve l'impressionne ; il regarde et ne voit rien ; il écoute et n'entend rien. Il crie, s'impatiente, claque du bec, s'irrite, creuse sa mémoire, sonde son cerveau, se demande si ce danger lui a déjà apparu? Il ne se souvient de rien. Ses parents, dans son enfance, ne lui ont pas révélé ce danger.
Est-ce une bête féroce qui est devant lui? Il la provoque comme il fait du loup, du renard, de la fouine; rien ne répond. Est-ce la chouette? Il la verrait, et d'ailleurs, il la connaît, il l'a combattue et poursuivie assez souvent.
Il se rassure, s'encourage; il crie plus fort pour n'avoir pas peur; son estomac le tiraille; il faut en finir, le déjeuner est là-bas et les autres auront bientôt tout pris ; c'en est fait, il vole en avant...
Au premier coup d'aile, il est dans les mailles du filet; il est captif, le filet tombe et un poids immense pèse sur lui.
Alors, il pousse des cris déchirants, le désespoir inonde son coeur. Voilà donc ce danger qu'il pressentait; il aurait dû le deviner, fuir en arrière, faire un grand contour, au besoin attendre sous bois. Ah! le malheureux qui s'est laissé surprendre, ah! l'infortuné qui va mourir, mourir, lui, si fin et si rusé, pris au piège, lui si méfiant. Au secours ! vous autres, au secours !
Mais c'est bien pis, voilà le chasseur qui se précipite en se baissant ; les cris et les sauts redoublent à son approche; il essayerait volontiers les coups de bec, mais il est trop gêné. Une main leste le saisit, et du pouce et de l'index, lui écrase la tête; il a vécu.
Le chasseur retourne en courant à sa bigue ; le filet est rapidement relevé ; un grand silence se fait à nouveau.
Voilà qu'un coup de sifilet retentit dans le bois; c'est un cri aigu comme celui de la balle sur le champ de bataille, et au même instant passe droite et rapide une masse qui donne dans le filet.
C'est une grive gourmande qui allait picorer et qui, folle, imprudente, quoique nerveuse et sauvage, se confiant dans la rapidité de son vol, est venue piquer la tête au beau milieu du danger.
Le filet tombe, le chasseur se précipite, la ramasse, L’étouffe et relève son filet.
Quatre, cinq, six grives la suivent à peu de distance.
Quelquefois, une d'elles franchit le pas avant que le perfide engin ne soit relevé ; quelquefois, une autre passe à deux doigts plus haut que la cordelle, et voilà que les étoiles sont complètement effacées, qu'une ligne grisâtre paraît au dessus des montagnes, et que la bise qui fraîchit annonce que bientôt l'aurore va se lever.
Alors, parfois, une ombre passe dans la forêt. L'apparition est rapide; ni cri, ni coup d'aile ne l'ont fait pressentir.
C'est un boulet de canon qui passe sans sifflement et qui s'est jeté à votre insu dans vos mailles.
Ouvrez l'œil, lâchez la corde, ayez la main légère et prompte, car c'est une bécasse, un morceau de roi qui est venu se faire capturer.
On commence à distinguer les objets dans la forêt; les oiseaux ont fini leur passage, on peut détendre les cordes et faire joyeusement son paquet.
Alors, la forêt silencieuse qui semblait vide est tout à coup pleine, animée et bruyante ; tout le monde s'appelle, se reconnaît, s'interroge, s'interpelle ; un voisin en causant a fait manquer un coup superbe; une fourchette a cassé, une corde n'a pas glissé, une bécasse a passé trop haut; l'un a son carnier plein, l'autre n'a pas eu de chance; on se cherche, on se groupe, on discute en descendant, on se donne rendez-vous pour le chien d'arrêt ou les chiens
courants, et on va rejoindre, à Ambérieu, à Jujurieux ou à Poncin, le déjeuner qui vous attend.
Ici se pose une question.
Est-il vrai que la grive soit un oiseau ivrogne et qu'elle boive, s'abrutisse et tombe dans tous les excès, dans toutes les dégradations des buveurs de profession ?
Les anciens l'ont regardée comme un oiseau de mauvaise vie. On l’avait consacrée à Bacchus, et un proverbe calomnieux comme beaucoup de proverbes, dit insolemment : saoul comme une grive.
D'abord, parce que le vin fermenté peut enivrer, est-ce une raison pour qu'une graine de raisin, cueillie et picorée sur le cep, puisse troubler la raison et monter à la tête ?
J'aurai de la peine à en convenir.
Soyons justes, même avec les pauvres grives qui elles auraient bien d'autres choses à nous reprocher.
c'est la calomnie impure qui a souillé la grive et non la médisance, sa non moins dangereuse sœur.
Rendons-lui donc justice à cet oiseau charmant; ne lui prêtons pas un de ces vices honteux qui dégradent l'humanité ; c'est bien assez de l'ivresse de l’homme dans le monde sans y ajouter celle de cette aimable créature.
A la pantière ou au fusil, la chasse à la grive est charmante, qui pelote ce gibier dans une vigne à échalas est un fin tireur, un maître.
La grive est élégante de forme, jolie de couleurs, vive et enjouée de caractère, délicieuse au goût. Allons, de grâce, confrères en saint Hubert, mangeons-la, mais ne la calomnions pas.
Aimé VlNGTRINIER.
(1) Faux-bourdon: abeille mâle
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Source: Archives de l'Ain; "Fantaisies lyonnaises : Chasse à la grive, avec une introduction de Joséphin Soulary ; Pêche à l'alose ; la Statistique à Lyon ; la Damnation de Gounod, etc. (1882)"
https://www.archives.ain.fr/archives/archives/fonds/FRAD001_BIB-E/view:all/page:28?pagination=50
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Chasse et Tradition.
Le sous-titre de ce petit livre est beaucoup plus explicite:
"Comment faire chanter au mieux nos oiseaux de chasse".
Il s'agit en fait d'un manuel destiné aux chasseurs de grives au poste à feu désirant faire ramager les appelants par la méthode dite du programmateur de lumière.
Remarques:
- Le titre est mal choisi, le programmateur de lumière (fotoperiodo en italien) n'est pas une technique "traditionnelle".
- La traduction de l'italien en français est de piètre qualité.
Quoiqu'il en soit, ce livre a le mérite d'exister.
L'auteur est: Vanni Ligasacchi
Editeur: Beretti (révisé et mis à jour en juillet 2019)
Format: 13 x 19
Nombre de pages: 120
Prix actuel: 25 €
On peut se le procurer ici: https://grives.net/product/chasse-et-tradition
Grives.net est distributeur exclusif de ce livre pour la France.
Ci-dessous la 4e de couverture, on ne s'attardera pas sur la qualité de la traduction:
La tenderie aux grives chez les Ardennais du plateau.
La tenderie aux grives est un mode de capture traditionnel des turdidés, pratiqué exclusivement dans les massifs forestiers du plateau de l'Ardenne (au nord du département), sur un territoire de 1000 km2 environ.
Mode de piégeage très ancien, la tenderie a fait l'objet de nombreuses attaques de la part des écologistes.
Aujourd'hui, très réglementée, elle ne concerne plus que 250 pratiquants environ.
Outre son aspect de "passe-temps" et gastronomique, la tenderie revêt, aujourd'hui, une dimension identitaire très marquée.
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Le livre: il s'agit d'un ouvrage ethnologique qui peut paraître ardu de prime abord mais qui s'avère passionnant à la lecture.
Parution: 1/1/1979, auteur: Jean Jamin, éditeur: Institut d'Ethnologie du Musée de l'Homme.
Ce livre peut être téléchargé gratuitement:
http://classiques.uqac.ca/contemporains/jamin_jean/tenderie_aux_grives/tenderie_aux_grives.pdf
Les Ecrivains et la Chasse des grives: Emile Zola, SOUVENIRS.
Emile Zola est né à Paris en 1840, 3 ans plus tard, ses parents s'installent à Aix qu'il devra quitter en 1858.
Il passe donc toute sa jeunesse en Provence.
De cette jeunesse provençale, il a laissé un témoignage de chasse savoureux dans ses "Nouveaux contes à Ninon", oeuvre publiée en 1874.
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Souvenirs
Nouveaux contes à Ninon
Chapitre IV
... Je ne connais qu’une chasse, une chasse dont les Parisiens ignorent les charmes tranquilles. Ici, dans les champs, il y a des lièvres et des perdrix; on ne tire pas sa poudre aux moineaux, on dédaigne les alouettes, réservant son coup de feu aux seules grosses pièces. En Provence, lièvres et perdrix sont rares ; les chasseurs s’attardent aux fauvettes, à tous les petits oiseaux des buissons. Quand ils ont tué leur douzaine de becfigues, ils rentrent très fiers au logis.
J’ai souvent couru les terres labourées, pendant des journées entières, pour rapporter trois ou quatre culs-blancs*. J’enfonçais jusqu’aux chevilles dans le sol mouvant comme un sable fin. Le soir, quand je ne pouvais plus me tenir sur les jambes, je rentrais, ravi.
Si, par miracle, un lièvre passait entre mes jambes, je le regardais courir avec un saint étonnement, tant j’étais peu habitué à rencontrer de si grosses bêtes. Je me souviens qu’un matin un vol de perdrix se leva devant moi ; je restai si abasourdi par ce grand bruit d’ailes, que je lâchai au hasard un coup de feu qui alla cribler un poteau télégraphique.
D’ailleurs, je confesse avoir toujours été un tireur détestable. Si j’ai tué pas mal de pierrots* dans ma vie, je n’ai jamais pu abattre une hirondelle.
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C’est sans doute pour cela que je préférais la chasse au poste.
Imaginez une sorte de petite construction ronde, enfoncée dans la terre, s’élevant à peine d’un mètre au-dessus du sol. Cette cabane, faite de pierres sèches, est recouverte de tuiles qu’on dissimule le plus possible sous des bouts de lierre. On dirait un débris de tourelle rasée près des fondations et perdue dans l’herbe.
À l’intérieur, l’étroite pièce prend jour par des meurtrières, que ferment des vitres mobiles. Le plus souvent, le réduit a une cheminée et des armoires ; j’ai même connu un poste qui avait un divan. Autour du poste sont plantés des arbres morts, des cimeaux, comme on les nomme, au pied desquels on accroche les appeaux, les oiseaux prisonniers chargés d’appeler les oiseaux libres.
La tactique est simple. Le chasseur, tranquillement enfermé, attend en fumant sa pipe. Il surveille les cimeaux par les meurtrières. Puis, quand un oiseau se pose sur quelque branche sèche, il prend son fusil méthodiquement, en appuie le canon sur le bord d’une meurtrière et foudroie la malheureuse bête presque à bout portant.
Les Provençaux ne chassent pas autrement aux oiseaux de passage, aux ortolans en août, aux grives en novembre.
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Je partais à trois heures du matin, par de glaciales matinées de novembre. J’avais une lieue à faire dans la nuit, chargé comme un mulet ; car il faut porter les appeaux, et je vous assure qu’une trentaine de cages ne se transportent pas facilement, dans un pays de collines, par des sentiers à peine frayés. On pose les cages sur de longs cadres de bois, où des ficelles les tiennent et les serrent les unes contre les autres.
Quand j’arrivais, il faisait noir encore, le plateau s’étendait, profond, farouche, pareil à une mer d’ombre, avec ses broussailles grises, à l’infini. J’entendais tout autour de moi, dans les ténèbres, ce remous des pins, cette grande voix confuse qui ressemble aux lamentations des vagues. J’avais alors quinze ans, et je n’étais pas toujours très rassuré. C’était déjà une émotion, un plaisir âcre.
Mais il fallait se dépêcher. Les grives sont matinales. J’accrochais mes cages, je m’enfermais dans le poste. Il était trop tôt encore, je ne distinguais pas les branches des cimeaux. Et pourtant j’entendais sur ma tête le sifflement rude des grives. Ces gueuses-là voyagent la nuit. J’allumais du feu en grondant, je me hâtais d’obtenir un grand brasier, qui luisait rose sur la cendre. Dès que la chasse a commencé, il ne faut plus que le moindre filet de fumée sorte du poste. Cela pourrait effaroucher le gibier. J’attendais le jour, en faisant griller des côtelettes sur la braise.
Et j’allais de meurtrière en meurtrière, épiant la première lueur pâle. Rien encore ; les cimeaux dressaient leurs bras désolés, vaguement. J’avais déjà de mauvais yeux, je craignais de lâcher un coup de fusil sur un bout de branche noirci, comme cela m’arrivait quelquefois. Je ne me fiais pas seulement à ma vue, j’écoutais. Dans le silence, frissonnaient mille bruits, ces chuchotements, ces soupirs profonds de la terre à son réveil. La clameur des pins grandissait, et il me semblait par moments qu’un vol innombrable de grives allait s’abattre sur le poste, en sifflant furieusement.
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Mais les nuées devenaient laiteuses. Sur le ciel clair, les cimeaux se détachaient en noir, avec une singulière netteté. Alors, toutes mes facultés se tendaient, je restais plié d’anxiété.
Quel coup dans l’estomac, lorsque, brusquement, j’apercevais la longue silhouette d’une grive sur un cimeau ! La grive s’allonge, fait la belle au premier rayon, reste droite, les yeux au soleil, dans le bain matinal de lumière. Je prenais mon fusil avec des précautions infinies, pour ne point heurter le canon ou la crosse. Je tirais, l’oiseau tombait. Je n’allais pas le ramasser, cela aurait pu éloigner d’autres victimes.
Et je reprenais mon attente, secoué par cette émotion du joueur qui a eu un coup heureux, et qui ne sait ce que lui garde la chance. Tout le plaisir d’une pareille chasse consiste dans l’imprévu, dans la bonne volonté que le gibier met à venir se faire tuer. Une autre grive se posera-t-elle sur un des cimeaux ? Question troublante. Je n’étais pas difficile, d’ailleurs : quand les grives ne venaient pas, je tuais des pinsons.
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Je revois aujourd’hui le petit poste, au bord du grand plateau désert. Il vient des collines une senteur fraîche de thym et de lavande. Les appeaux sifflent doucement dans le grand remous des pins. Le soleil montre à l’horizon une mèche de ses cheveux flambants, et il y a là, sur un cimeau, dans la clarté blanche, une grive immobile.
Allez courir les lièvres, et ne riez pas, car vous feriez envoler ma grive
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* culs-blancs, pierrots: traquets motteux